Est-il permis à un protestant de se sentir concerné ?
Les mots du père Grieu sont durs. A la douleur, ils rajoutent la souffrance. Il y a des Eglises qui sont tentées de vivre d’un sentiment d’arrogance chevillé à leur expérience d’exemplarité ; il y en a d’autres qui tiennent fébrilement à la sainteté. Même quand elle est reconnue comme la manière dont Dieu nous regarde et nous reçoit, cette sainteté est, pour beaucoup, perçue et reçue dans un registre moral, dans une logique de ce qui légitime.
Or, tout ce qui bouscule aujourd’hui l’Eglise catholique, dans les consciences des gens comme dans la cohérence de sa parole institutionnelle montre en même temps quelque chose de paradoxal. C’est de sa mort même, de son suicide pourrait-on dire même, que toute Eglise renait à une résurrection. Cette affirmation peut paraitre prétentieuse, mièvre, voire insultante face au phénomène qui, sous ses multiples facettes, nous préoccupe aujourd’hui. Dire que l’Eglise en a vu d’autres est-il suffisant ? Quelle consolation cela nous apporterait-il ? L’Eglise vit par la résurrection, disait Jean Calvin. C’est une conviction d’un autre ordre, qui ne repose pas seulement sur la confiance comme expérience humaine. La foi est une autre manière d’invertir cette confiance.
L’Eglise, c’est quoi au juste ?
L’Eglise catholique peut-elle se relever face à ce qui semble l’avoir si durement atteint, au point de la croire, comme le suggère le père Grieu, bien par terre ! Croire que l’Eglise peut se « relever » n’est pas se fier en sa solidité deux fois millénaire, ni en cette nature que les théologiens lui reconnaissent. Peut-être que croire en l’occurrence signifie tout simplement « espérer ». Mais, au fond, l’Eglise n’est-elle pas un « Miracle » ? Quelle Eglise peut se donner à elle-même, s’exposer au monde, par la seule force de sa cohérence morale et la rectitude de son enracinement institutionnel ? Il serait non seulement déplacé, mais encore dangereux, de croire en la résilience de l’Eglise.
L’Eglise qui échoue si lamentablement, cette Eglise qui s’est décrédibilisée à ce point, dans ce siècle impitoyable, ne pourrait ni se penser ni s’espérer elle-même puisqu’aucune performance ne peut soutenir son avenir. En revanche, penser et aimer l’Eglise dans son devenir, c’est se disposer à la reconnaitre et à la vivre comme un « Miracle » absolu ! La grâce possible de l’inespéré. Le catholicisme vit et vivra, à sa manière, de cette grâce.
Ni la théologie populaire de la sainteté (qui concerne la manière d’être et de faire les choses) ni la revendication ecclésiologique invitant à contempler l’Eglise dans son essence supposée, ne suffisent pour parler de l’Eglise face à une crise de cette ampleur. Tous ces discours restent assez inaptes, dès lors qu’il agit de comprendre l’Eglise en tant que "Miracle". Le problème méthodologique de cette position est que de « Miracle », on ne peut normalement en parler qu’après coup. Or, nous en parlons comme si c’était acquis ! C’est la raison pour laquelle l’espérance est fondamentalement en jeu dans cette considération. C’est pour cette raison également qu’il convient d’entendre le terme de "Miracle" pour ce qu’il est, c’est-à-dire, ce que seul Dieu peut faire et donner à voir. Il ne faudrait pas se précipiter vers une autre notion, celle de "mystère", qui viendrait là tout naturellement dans tout discours sur l’Eglise, comme par un effet d’automatisme.
Balayer devant sa porte et la tentation de Jean et Jacques
Que l’Eglise sache balayer devant sa porte, qu’elle consente à s’évangéliser elle-même : quoi de plus normal ? Mais qu’elle fasse cela pour se tirer d’affaire, s’accréditer à ses propres yeux ou bien encore devant le monde, cela peut-il suffire pour la rassurer, l’épargner de l’angoisse d’une situation qui la déborde ? Il y a énormément à dire et sans doute à entreprendre, de l’intérieur de l’Eglise, en matière sociétale et des mœurs. Que les abus relèvent du droit commun, ce n’est que justice. Il n’est pas sûr, cependant, que la frénésie de la performance soit pour l’Eglise une solution en amont. Cette théologie de l’efficacité n’apparait pas seulement dans l’évolution de l’Eglise ; elle remonte du vivant de Jésus.
On se souvient de la demande des fils de Zébédé contre les Samaritains (Luc 9,54). Ce récit montre le "zébédéisme" dans toute sa splendeur. Il consiste à vouloir être, à vouloir agir, comme Dieu, que celui-ci le veuille ou non. De bonne foi, on croit que cette manière d’être et d’agir est conforme...Dans le naufrage, chacun se débat comme il peut. Le survivant, lui, attribuera toujours son salut à l’inespéré. Il ne convient peut-être pas de désespérer prématurément l’Eglise catholique en ces temps difficiles. Si la confiance est une modalité de l’espérance, il est des moments où cette dernière refonde mystérieusement toute confiance.