Nos
réflexions sont nourries de nos engagements, de nos lectures de la Bible et de
l’héritage intellectuel notamment protestant, de nos dialogues et nos
compagnonnages avec les autres croyants, les mouvements intellectuels,
politiques et sociaux qui se battent pour un monde plus juste.
Divers dans nos références théologiques, nous nous retrouvons dans un évangile
qui repense et repousse sans cesse les frontières, qui refuse les
barrières du pur et de l’impur, qui nous dit que la grâce est offerte à toute
la création, que la vie est toujours plus forte que les mises à mort sociale,
économique, écologique, culturelle, raciste, sexiste ou homophobe. Nous voulons
convoquer à nouveaux frais les vieux et gros mots comme Royaume de Dieu,
Seigneurie de Jésus Christ, Amour inconditionnel de Dieu : expérimenter leur
déplacement dans un nouveau contexte, considérer que la fidélité à laquelle
engage la parole religieuse n’est pas déplacement d’un contenu à l’identique,
sans transformation mais bien plutôt redéfinition incessantes de ce qu’elle
véhicule, réfléchir à ce que notre attachement à ces termes nous fait et nous
fait faire.
Nous regardons le monde et nous crions : « injustice ! ». La violence sociale
et écologique du système économique actuel et son incapacité à se réformer nous
invitent à rechercher les voies de son dépassement. L’invasion de son
imaginaire nous pousse à travailler avec tous les autres créateurs d’un
imaginaire alternatif. L’évolution des débats sur l’immigration en décalage
avec une réalité sociale de plus en plus métissée nous engage à rentrer
frontalement en dissidence avec les discours et les décisions qui transforment
l’Europe en forteresse. Notre refus d’un apartheid planétaire nous met en
relation avec les croyants et les militants des pays du Sud. Le détournement de
la laïcité au profit de logiques d’exclusion nous incite à défendre et inventer
un espace public riche qui n’a pas peur du conflit et de la différence.
L’évolution des réalités familiales et sexuelles nous amène à une éthique
nouvelle qui tourne clairement le dos au moralisme, qui interroge profondément
l’imaginaire de la « famille chrétienne », du soi-disant « projet de Dieu » en
la matière.
Ces réalités disent notre urgence, ces convictions expriment nos points de
départ. Elles ne limitent pas ce que nous désirons construire ensemble, avec
vous et avec d’autres. Elles ne définissent ni un dedans, ni un dehors. Nous en
appelons ici et là à la création de « communes théologiques » pour relancer le
Christianisme social, qu’il soit un « nous » mobile et indéterminé de réflexion
et d’action. Un collectif à échelles et formes diverses qui n’aura de cesse de
se redéfinir en situation, de se recréer sans cesse et sans centre unique. Une
communauté qui se caractérise par le manque et les questions, la rencontre et
l’hospitalité, plutôt que par le plein, le propre et les affirmations.
Nous ne voulons pas agir seuls, nous désirons des alliances : les protestants
par delà les frontières, les catholiques et tous les croyants ouverts, se
reconnaissant dans les théologies de libération, la gauche qui ne renonce pas,
la droite qui s’interroge, le mouvement social, tous les humanistes, celles et
ceux qui croient en l’amour, la justice et l’espérance sont nos
parentèles.
Nous voulons réfléchir et agir, l’un et l’autre, l’un pour l’autre.
Si nous voulons affirmer des positions, nous voulons aussi prendre le temps de
la conversation et de l’échange, nous mettre d’accord sur nos accords et nos
désaccords, donner et recevoir à penser, soutenir la pensée depuis toutes les
places et non penser à la place de.
Si nous voulons prendre la parole, nous voulons surtout engager les batailles
d’idées nécessaires afin de déplacer les questions et les clivages des débats
dans nos Eglises et dans la société.
Si nous voulons réfléchir, nous voulons autant agir, encourager à l’action,
échanger sur nos expériences de terrain, contribuer ici et maintenant aux
changements nécessaires, en ne nous interdisant aucun des moyens de la
non-violence, de sa logique de surabondance prophétique et de désobéissance
aimante.
Une invitation est lancée à nous relancer dans cette épopée commune :
publiquement, dire notre espérance et agir en conséquence. Nous répondons à
l’invitation et nous vous invitons à y répondre : pour que se démultiplient
les
« communes théologiques » !
Quiconque se reconnaissant dans le Christianisme Social
Il est minuit dans l’ordre social. Quelqu’un frappe à la porte.