Ce débat a réuni à l’invitation de la librairie Un temps pour Tout et du Mouvement du christianisme social une centaine de personnes dans les salons de la Maison du protestantisme pendant deux bonnes heures riches d’échanges. La modération de la soirée était assurée par Antoine Nouïs, directeur de Réforme, qui a commencé par présenter les auteurs dont il a souligné d’emblée la convergence des points de vue dans leurs deux derniers ouvrages.
Edwy Plenel a d’abord pris la parole en rappelant ses liens personnels avec le protestantisme. Il explique comment il a emprunté l’idée de son titre à un article quasiment inconnu d’Emile Zola publié sous le titre Pour les juifs dans Le Figaro le 16 mai 1896, soit près de dix-huit mois avant le célèbre J’accuse publié dans L’Aurore. À ce moment-là, Zola ne s’intéresse pas encore à Dreyfus, il s’insurge simplement contre le climat d’antisémitisme nationaliste qui s’instaure dans les milieux intellectuels parisiens autour de certains écrivains célèbres tels que Maurice Barrès, mais surtout contre le succès du livre « abject » d’Edouard Drumont La France Juive, dont l’influence néfaste a été considérable. Il s’élève contre ses discours de haine et de discrimination, contre ses mots qui tuent, cette haine qui finit toujours en rejet de la démocratie.
Plenel aborde ensuite la loi de séparation des Églises et l’Etat et la laïcité. Il met en lumière l’humanité (sans jeu de mot) de Jaurès qui soutient la nécessité de cette loi qui abolit le Concordat napoléonien de 1802, reconnaît les trois cultes catholique, protestant et israélite, respecte les croyances individuelles et enfin, ce qui est moins bien connu, donne au croyant la possibilité de manifester son appartenance religieuse dans l’espace publique. La loi admet ainsi le port de la soutane par les curés et les processions hors des églises.
Cette loi n’a pourtant pas éliminé les discriminations et, dans la période de transition qui est la nôtre, il faut encore trouver un bouc émissaire et c’est maintenant en priorité le Musulman. Mais les discriminations touchent de nombreux groupes de populations comme par exemple les Roms. Notre adversaire est le conservatisme anti-démocratique qui se replie sur l’identité frileuse du Français « de souche » (pour autant que ce qualificatif signifie quelque chose), alors que la force de la France est justement dans sa diversité.
La parole est alors donnée à Stéphane Lavignotte qui nous invite à faire preuve d’une nouvelle intelligence dans notre façon de comprendre la religion. Il s’indigne du débat irrationnel qui essentialise l’islam en en faisant une religion figée qui n’aurait pas évolué dans le temps et dans l’espace. Il souligne que l’on demande aux musulmans, comme aux juifs de se rendre invisibles, de se plier à une attitude de retrait de l’espace public, celle qu’adoptent les chrétiens « modernes », selon un schéma qu’il nomme la catho-laïcité, et de se fondre dans le paysage comme les autres religions. Il rappelle que Rocard et Joxe leur ont demandé de s’organiser à la manière des juifs et des protestants ce qui a abouti à la création du Conseil français du culte musulman.
Il poursuit en indiquant que, en ce qui concerne notre attitude personnelle, pour lutter contre la peur de l’autre qui est un des ressorts du racisme, souvenons-nous que Jésus nous enseigne l’empathie – idée que développe Edwy Plenel dans la conclusion de son livre - c’est-à-dire la faculté de s’identifier à quelqu’un, de ressentir ce qu’il ressent. Une telle attitude doit conduire à refuser les discriminations qui se manifestent par exemple par des traitements d’exceptions, comme la loi de 2004 sur le voile qui stigmatise les musulmans et eux seulement. Ce combat doit réunir toutes les organisations qui combattent pour l’égalité des droits et les chrétiens y ont légitimement leur place. C’est ainsi que le Mouvement du Christianisme social participera au Colloque contre l’islamophobie du 13 décembre prochain.
Le dialogue s’ouvre ensuite avec l’assistance. Parmi les questions soulevées on a pu noter les habituelles critiques contre le voile islamique qui serait le signe de la soumission de la femme musulmane. Plenel répond qu’il connaît des femmes qui le portent et se sentent tout à fait libres et indépendantes. Il cite ses rencontres avec les membres de l’association Mamans toutes ensembles, dont les femmes voilées se battent contre la circulaire Chatel qui leur interdit d’accompagner leurs enfants lors des sorties scolaires. Il rappelle aussi que la loi de 20004 interdisant le voile à l’école a conduit à des expulsions de jeunes filles musulmanes de leurs collèges.
À la question d’un participant anglais qui signale que dans son pays, contrairement à la France, le port du voile n’est pas limité, Plenel répond que la France ne s’est toujours pas débarrassée d’une conception monarchique du pouvoir qui n’accepte pas bien la différence de comportement. [Personnellement je trouve cet argument un peu trop simple. Ainsi, la liberté de tenue vestimentaire que l’on constate en Grande-Bretagne n’exclut pas l’islamophobie…]
Nos deux invités s’accordent sur la nécessité de faire de la lutte contre l’islamophobie une cause commune à toutes sortes de mouvements revendicatifs. Plenel prend pour modèle la rencontre en Angleterre des mouvements de défense des homosexuels avec les mineurs en lutte à l’époque Thatcher. Lavignotte note la présence de chrétiens et de personnes LGBT identifiés comme tels dans les manifestations pour Gaza l’été dernier.
Une dernière question, arrivée trop tardivement pour permettre d’ouvrir un débat, concernait le fait que les protestants et les musulmans sont vus comme illégitimes dans le paysage religieux français.
Philippe Wender