Mais en fait le sens de la parabole n’est pas là. Les talents sont en fait des lingots d’or qui symbolisent le trésor que Dieu confie à la responsabilité de ses serviteurs. Ils développeront ce trésor en faisant connaître Dieu, son message et son œuvre, au plus grand nombre,. Les deux premiers serviteurs acceptent de lancer le trésor de la Parole de Dieu dans le commerce du monde, alors que le Judaïsme, représenté par le troisième serviteur, s’y refuse pour ne pas le souiller. À l’époque de la rédaction de l’Évangile de Matthieu (80 ap. J.C.), la parabole a pour but d’expliquer pourquoi l’Eglise naissante (sous l’impulsion de Paul et Pierre) a eu raison de prêcher dans le monde païen (le monde gréco-latin) et de ne pas faire comme le Judaïsme de l’époque qui se refusait à tout prosélytisme. En effet, par son activité missionnaire, l’Église a pu faire fructifier le trésor en faisant de nombreux convertis parmi les païens.
Il faut donc, dit la parabole, accepter de prendre le risque de lancer le trésor de Dieu dans le monde profane. C’est là une justification de la politique d’évangélisation de l’Eglise naissante et du risque qu’elle a pris de paganiser le trésor de Dieu (en mettant fin à l’obligation de la circoncision, du sabbat et de la kashrout) pour mieux s’adapter aux païens du monde gréco-romain. C’est ce qui lui a permis de croître très rapidement (ce que symbolise le doublement des talents des deux premiers serviteurs).
Si l’on tient absolument à utiliser cette parabole à propos du thème « l’argent et la famille » , il faut remarquer les points suivants.
1-Les deux premiers serviteurs prennent le risque que les talents qu’ils ont reçus se perdent quand ils les lancent dans le commerce. Ils ne sont nullement certains de pouvoir les récupérer. Ainsi la parabole prêche plutôt l’acceptation du risque et de la perte plutôt que la confiance. De fait la confiance (surtout si c’est la confiance que l’on va s’enrichir) n’est pas forcément une vertu chrétienne ; de plus c’est l’excès de confiance, à l’origine des « cavaleries » des « subprimes » qui a été à la cause de la crise actuelle.
2-Les deux premiers serviteurs ne cherchent nullement à préserver et à conserver leur héritage sacro-saint. Ils ont reçu des talents « sacrés » (confiés par le patron qui représente Dieu), mais ils lancent ces talents dans le monde profane et ceux qu’ils recouvrent ensuite viennent du monde profane. Ce ne sont pas les mêmes que ceux du départ. Les talents ont certes été multipliés par deux mais c’est de l’ « argent sale » ou plus exactement païen et non kasher. Et le patron (Dieu) est néanmoins content.
3- Pour les deux premiers serviteurs, les talents sont comme un ballon de rugby qu’il ne faut pas garder pour soi mais bien au contraire faire passer de main en main, avec les risques que cela suppose. En revanche le troisième serviteur a voulu conserver son héritage intact en le considérant comme sacré. Et le patron (Dieu) le réprimande.
4-Selon la parabole, les serviteurs ont eu raison de répandre le trésor qu’ils ont reçu dans le monde entier, bien au-delà de la famille de leur communauté initiale (à savoir la communauté juive). La parabole récuse tout « restons entre nous pour préserver nos valeurs » (alors que c’était la manière de voir du Judaïsme) pour prôner une forme de mondialisation et d’incarnation dans le monde profane et païen. Elle récuse ainsi tout communautarisme, esprit de secte et de famille.
Alain Houziaux, Pasteur de l’Eglise Réformée de France.