Car la signification spirituelle du présent méli-mélo de traditions est complètement brouillée. Pour les adultes, Décembre est le moment où l’on se doit de multiplier les dons. Pour nos édiles c’est à qui fera briller les rues des plus belles illuminations, à qui dressera le plus grand sapin. Parmi les plus hautes autorités, c’est à qui formulera les vœux les plus généreux. Et pour les enfants, qui ont plus de mémoire que les vieux, c’est tout à la fois le moment des cadeaux en grand nombre, celui des illuminations, celui des pères Noëls et celui des arbres décorés : c’est leur fête.
Pour une fois, même la « charité » n’est pas mal vue. Ma municipalité offre un repas de fête pour améliorer l’ordinaire des vieux de la commune ; mon voisin donne une pièce aux quêtes d’Emmaüs et de l’Armée du Salut ; moi j’envoie des chèques aux restos du cœur. Bref, nous nous sentons tous plus ou moins obligés de prendre sur nous et de faire des dons. Quelle place le don de soi occupe-t-il à ce moment-là de l’année ? Et quel est le ressort, manifestement vieux et solide, de cette multiplication des dons ?
Grosso modo, le ressort tient à ce que deux fêtes traditionnelles majeures ont été superposées. A des fêtes très archaïques, celles du solstice d’hiver, sont venu se superposer des fêtes chrétiennes. Et ce que nous vivons machinalement dans l’excitation des achats et des festins manifeste une grande unité de sens symbolique.
La tradition la plus archaïque est celle des fêtes solsticiales. Fixées à la fin de l’allongement des nuits, les fêtes solsticiales d’hiver appellent à la reprise de l’allongement des jours. Elles sont l’occasion d’exalter le Soleil : on escompte qu’il va de nouveau donner lumière et chaleur en quantités croissantes. Repoussé depuis six mois par les forces de l’obscurcissement, le Soleil va « renaître ». On l’y encourage en multipliant feux et lumières. On met en valeur des végétaux toujours verts tels le sapin et la boule de gui ; l’un et l’autre traversent le froid et l’obscurité. Ils symbolisent la survie. Ainsi fait d’ailleurs celui qui sort du ciel et de la neige pour ré-enchanter le monde moderne, le Père Noël ; lequel, avant de porter la couleur rouge des réclames du Coca Cola, aura longtemps porté un costume tout vert !
Très vite les judéo-chrétiens ont associé les fêtes liées à la naissance de leur Messie à ces symboliques plus anciennes. Qu’est-ce que le Messie, sinon la Lumière de Dieu incarnée parmi les hommes ? Et cet envoyé, ce Messie n’est-il pas appelé à triompher de la mort ? Bien entendu, ni le 25 décembre de l’an 01 n’est la date de la naissance de Yehoshoua, ni le 2 janvier celle de sa circoncision huit jours après. Et même, à quatre ans prés, les docteurs avouent ignorer l’année de cette naissance. Mais, comme les rabbins avec Hanoukka, les pasteurs ont choisi de fixer Noël à proximité du solstice d’hiver. En revanche ils ont évidemment substitué un message à un autre. Deux de leurs propos vont longtemps servir à séparer les chrétiens des juifs. La nouveauté consiste surtout dans le thème du don de soi. Jésus est présenté comme le don de Sa personne que le Très Haut fait aux mortels. Le Messie attendu par le peuple d’Israël est enfin arrivé. Si vous écoutez ne serait-ce qu’une fois un bon prêche de Noël, vous ne pouvez pas vous y tromper. On n’y appelle pas à une paix d’ordre militaire entre les individus ou les nations, mais à prendre conscience du pacte que Dieu propose aux hommes en leur offrant, avec la Nativité une manifestation vivante de ce qu’Il est vraiment sur terre avec eux. Il est tout en bas de l’échelle qui permet de passer du monde du Très Haut au bas monde dans lequel vivent les hommes. Le nourrisson sur la paille, c’est Dieu lui-même venu S’offrir à partager notre condition misérable et mortelle. L’incarnation est un don de Sa personne. La croix du sacrifice de Sa vie donnera plus de force à ce témoignage. Elle prouve la gravité du renouvellement de Son offre d’Alliance : la même et cependant une autre. De sorte que l’on va très vite distinguer l’ancienne et la nouvelle alliance (l’ancien et le nouveau « testaments »), ce qui servira à opposer le peuple juif et la chrétienté.
L’enseignement des chrétiens comporte une autre nouveauté. Au nombre infini des noms que les juifs prennent en principe la précaution de substituer au Nom du Très Haut, car ils devraient s’interdire de définir d’un seul mot l’Eternel, le Dieu Tout Puissant, Béni soit-il, les chrétiens vont ajouter ceux de Père, de Fils et de Saint Esprit. Alors, comme le Messie a enfin et d’abord pu être vu incarné dans un nourrisson, on prendra chez les chrétiens le plus grand soin de faire des dons aux enfants pour commémorer cette apparition et ce don (…Sauf que les modernes appellent le Père Noël à pourvoir à la fourniture des cadeaux, pour le cas sans doute où Dieu serait mort sans postérité. Et comme aux yeux des modernes les dons ne sont rien d’autre qu’un appel à l’échange, un moment dans des échanges successifs, on prend bien soin de faire comprendre aux enfants qu’un Père Fouettard n’est jamais bien loin de S.Klaus, Saint Nicolas, alias le Père Noël, et que les cadeaux vont en priorité vers les enfants sages ou aimants, bref qu’on n’a rien sans rien. Voilà qui nous entraîne loin de l’inimitable don de soi d’un Très Haut).
Enfin, (coup de chance diront certains !) de quasi commandements amènent à pratiquer momentanément les valeurs d’entraide et de charité... Encore un vestige ! Les récits canoniques de la Nativité ayant fait savoir que de petites gens ont été les premiers appelés à recevoir l’annonce de la naissance du petit Jésus, pour faire mémoire de cela il importe de donner aux pauvres, à Noël, une importance inusitée dans la répartition des revenus. Et c’est ainsi que fut prise l’habitude d’amplifier momentanément, à cette date, les actions caritatives...
Beaucoup font des cadeaux parce que tout le monde en fait. A la limite, les « fêtes » sont pour ceux-là un moment absurde où l’on est sollicité de gaspiller plus encore que d’habitude. Au risque de ne pas avoir appris grand chose à certains d’entre vous, j’ai imaginé que les rites et pratiques de don propres à la période de Noël avaient une longue histoire oubliée voire ignorée par beaucoup. Avec une pensée reconnaissante pour les enseignements de mon défunt maître Jacques Ellul, je crois que retracer l’origine de ces pratiques de don est une manière de leur conférer une plus grande richesse de sens. Grâce à nous, j’espère que vous aurez pu recueillir ici quelques raisons et manières supplémentaires de penser que donner, c’est d’abord faire don de soi. Joyeux Noël ! Et Bonne Année !
Patrick Pouyanne