On sera tous d’accord pour dire que, sur le principe, un médecin-homme vaut un médecin-femme et l’inverse aussi, même si Copé n’en parle pas et ne nous dit pas où en est l’égalité homme-femme dans le système hospitalier : est-ce un hasard si l’on parle plus des mandarins que des mandarines et des infirmières que des infirmiers ? On se dit, en bon progressistes ayant battu le pavé un certain nombre de 8 mars, qu’on devrait considérer l’autre personne sans considération de genre... Je défends régulièrement (voir un débat que j’ai eu avec le théologien catholique Xavier Lacroix sur les couples de même sexe à paraître en avril dans un hors-série du journal La Vie sur l’amour) que l’altérité est toujours radicale entre deux personnes, qu’elles aient ou non le même sexe ou genre...
Et puis, on a nos vies d’humains, nos pudeurs, nos histoires... Quand j’ai eu à choisir un psy, je me suis demandé si c’était important que ce soit un homme ou une femme : lui parlerai-je avec autant d’aisance de ma sexualité ? J’entends mes amies discuter régulièrement de savoir si c’est important pour elles ou non que leur gynéco soit un homme ou une femme... et d’en trouver un qui propose un rendez-vous en moins de trois mois... Et la discussion a lieu aussi pour le généraliste. Voyez-même, pour un certain nombre d’ados combien il est important de pouvoir choisir un autre praticien que le médecin de famille : et si je lui parle de contraception, que dira-t-il à mes parents ?
Et dans tous ces cas, on n’est pas dans la pure rationalité de la prise en compte de l’autre. En la matière, à quoi se résumerait le choix du médecin ? A peu de choses finalement : les compétences. Est-ce le seul critère que l’on prend en compte quand on choisit un médecin ? Non, on parle plus de soi que de l’autre et on dit souvent : « Je ne sais pas trop pourquoi, mais je me sentirais plus à l’aise, si... ».
Que fait donc de différent la patiente de l’exemple de Copé ? Que ce soit pour des raisons de pudeur ou de religion, elle ne fait pas autre chose que ce que nous faisons vous et moi, dans les exemples évoqués. Avec des raison pas plus irrationnelles que vous et moi. Avec des raisons pas plus privées que vous et moi (si savoir à qui on montre son vagin, sa verge ou sa nudité, ne sont pas des raisons privées voir intimes...).
Et d’ailleurs, dans leur grande intelligence, les autorités responsables ne le prennent-elles pas en compte ? La charte de la personne hospitalisée qu’édite le Ministère de la santé, basée notamment sur la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades, censée être remise à tout patient qui entre à l’hôpital, est très claire : « toute personne est libre de choisir l’établissement de santé dans lequel elle souhaite être prise en charge. (...) Toute personne peut également choisir son praticien sous réserve que les modalités d’organisation de l’établissement ne s’y opposent pas. Dans tous les cas, le choix de la personne concernant l’établissement et/ou le praticien doit se concilier avec certaines contraintes liées à l’urgence, l’organisation du service ou la délivrance des soins ».
Il n’est pas question dans le texte d’avoir de bonnes raisons, de les justifier, qu’elles soient rationnelles ou pas, et il serait étonnant qu’on prenne en compte toutes les raisons irrationnelles, sauf celles qui sont par ailleurs prises en compte par tous les textes fondamentaux sur les droits et libertés, à savoir les convictions religieuses... Voilà pour le fait brut : on a le droit de choisir un autre médecin que celui qui était prévu. C’est une liberté, « libre de choisir » dit le texte. C’est un droit, une possibilité qu’on ne demande pas de justifier : pas une atteinte à la laïcité, à l’honneur des médecins ou autre.
Ce n’est bien sûr pas un droit ou une liberté sans limite, ça n’existe pas, quoi qu’en pense Eric Zemmour quand il s’agit de lui-même. La première limite, c’est qu’on ne peut pas récuser un médecin au motif de la religion de celui-ci. Et malgré ce qu’on pourrait être amené à croire souvent, la masculinité n’est pas une religion (même si le phallus est souvent une idole...). La deuxième, ce sont les contraintes matérielles.
Vous aurez remarqué l’insistance du rédacteur sur les nécessités d’organisation, les contraintes du service, etc. On pourrait se dire que ce n’est que le corrélat habituel qu’on a pour toutes les libertés, on l’a vu pour l’expression publique du culte : dans la mesure où cela ne trouble pas l’ordre public, ne gêne pas trop la circulation, rentre dans les conditions prévues par la loi...
Et on imagine bien que ça ne doit pas être forcément facile à prendre en compte. Surtout si l’inégalité des carrières entre hommes et femmes dans certaines spécialités fait que les femmes sont barrés pour devenir mandarines... Surtout depuis que ce gouvernement a mis au pain sec les hôpitaux publics. Je n’oserai penser que c’est pour ces raisons que Copé a pris cet exemple. Impossible d’imaginer autant de cynisme de la part d’un personnage aussi idéaliste. Mais quand des contraintes matérielles rendent difficile l’exercice d’un droit (on peut imaginer que l’exercice de ce droit dans des conditions de pénurie ne participent pas à une relation apaisée entre les soignants, les malades et leurs familles...), est-ce qu’on augmente les moyens matériels où est-ce qu’on supprime le droit ? N’est-ce pas le même enjeu que l’on retrouve dans le droit à l’IVG ? « Mais bien sûr ma bonne dame que vous y avez droit, mais désolé, pas de pot, on n’a plus de centre d’obstétrique, trop cher... ». Et si le respect des droits des patients au libre choix du praticien, la liberté du « mon corps m’appartient » qui va avec celle de « à moi décider qui le regarde ou le touche » était un argument supplémentaire pour s’opposer à la casse du service public de la santé ? Le « piège » du débat sur la laïcité ne se refermerait-il pas contre ceux qui l’ont tendu ? Les libertés et les questions sociales se tiennent souvent la main...
Citation : « Les femmes ont besoin des hommes comme les poissons des bicyclettes » (slogan féministe)