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Article publié

La paix, un combat

Dérèglements climatiques – guerres inévitables ? par Jacques-Frédéric Josserand

mardi 5 novembre 2024, par :

« Qui veut la paix, prépare la guerre » : derrière ce vieil adage on voit chaque pays fourbir ses armes et astiquer les rangers de ses soldats, et les actions en bourse des marchands d’armes monter en flèche. On y entend même une sorte de jubilation à partir faire la guerre.
« Qui veut la paix, regarde les risques de guerre en face », et c’est ce à quoi je vous invite ici.

Considérons en effet :
1. un chiffre : en 2050 on pourrait compter jusqu’à 1,2 milliard de déplacés climatiques, de gens qui ne pourraient plus vivre dans leur pays ;
2. le « dessous des cartes » et en particulier une planisphère où apparaîtraient
  en rouge les pays dont l’indice de vulnérabilité au changement climatique est élevé : plus c’est rouge, plus le risque est élevé (sont en rouge pour l’essentiel des pays d’Afrique, du Moyen-Orient, d’Asie du Sud-Est et d’Amérique Latine et Centrale)
  en vert, les pays dont l’indice de vulnérabilité est bas (Amérique du Nord, Europe, Russie, et Australie).
Vous avez déjà compris mon propos, et avez imaginé comme moi sur cette carte les flèches qui figureraient les considérables migrations éventuelles de populations des pays en rouge vers les pays en vert. Ce qui présage d’innombrables conflits.
Mais avant tout soyons tous conscients de l’urgence et de la gravité du dérèglement climatique :
1. La température moyenne de la planète a été en 2023 à +1,48° C par rapport à l’ère préindustrielle. L’engagement des pays signataires de l’Accord de Paris est de limiter le réchauffement à +1,5° C en 2050.
2. Les dernière projections du GIEC donnent pour 2100 une température moyenne à +4°C (hypothèse centrale) et un niveau des mers de +110 cm.
3. 1,2 milliard de déplacés climatique potentiels, c’est 12% de la population mondiale de 2050. Si chaque pays en vert devait accueillir tous ces réfugiés climatiques à proportion de sa population, la France devrait accueillir 8 millions d’hommes, de femmes et d’enfants.
4. Les pays du Sud du Sahara – Mali, Burkina-Faso, Soudan du Sud – ont connu en mars-avril 2024 une vague de chaleur à 45°C, entraînant la mort de 120 personnes, chiffre officiel sans doute très sous-estimé. Quand on dépasse les 35 degrés - indice « wet bulb », température et humidité cumulées - l’air est si chaud et humide que le corps humain, censé maintenir sa température interne à 37 degrés, est alors incapable de transpirer suffisamment pour se rafraîchir. La thermorégulation n’est plus possible. C’est un seuil mortel.

A. MIEUX COMPRENDRE LES ENJEUX
Regardons plus précisément ce que signifient ces informations. Pour ce faire, nous allons

a) explorer l’indice PVCCI d’inhabitabilité pour causes climatiques
L’indice Physical Vulnerability to Climate Index (PVCCI), établi par la Fondation pour les Études et Recherches sur le Développement International, mesure les risques géophysiques auxquels les pays font face en raison du changement climatique. C’est un indice qui repose sur des facteurs exogènes indépendants des politiques présentes et futures des pays.
Construit pour 191 pays, il peut servir comme critère à l’allocation géographique des fonds internationaux pour l’adaptation au changement climatique.
L’indice PVCCI inclut les risques en croissance régulière (pour 2/5èmes) et la récurrence de crises violentes (pour 3/5èmes).
Il est composé de 5 sous-indices selon le risque encouru :
  Inondation – niveau des mers ou fonte des glaciers : les pays les plus vulnérables sont les Îles Marschall et le Népal.
  Accroissement de l’aridité : les pays les plus vulnérables sont le Soudan et le Kazakhstan,
  Faible pluviométrie : les pays les plus vulnérables sont la Lybie et l’Égypte.
  Accroissement des températures : les pays les plus vulnérables sont l’Iraq, le Mali, le Burkina Faso. D’ici 30 à 50 ans, plusieurs zones pourraient devenir inhabitables, en raison d’un indice wet bulb supérieur à 35°C.
  Tempêtes : les pays les plus vulnérables sont le Japon et la Jamaïque.
Selon le type de risque, l’inhabitabilité sera différemment appréciée. La richesse du pays va jouer un rôle essentiel dans son adaptation au risque.

b) étudier avec François Gemmenne Les relations internationales dans un monde en surchauffe, Armand Colin, novembre 2021.
François Gemmenne est spécialiste des questions de géopolitique de l’environnement et des migrations, chercheur qualifié du Fonds national de Recherche Scientifique de l’Université de Liège. Il est aussi un auteur principal pour le GIEC. Citons le :
« Le changement climatique n’est pas seulement affaire d’accumulation de dioxyde de carbone dans l’atmosphère, ou de hausse de température moyenne à la surface de la terre, mais c’est surtout un problème […] de rapports Nord-Sud, de sécurité internationale …] d’action collective, de justice, d’équité, etc. »

Relevons 6 considérations essentielles de François Gemmenne :
1) Il faut distinguer :
a. Les causes temporaires que sont les événements météorologiques extrêmes – type Katrina en Louisiane –, les inondations, les ouragans, et les incendies. Nombre de migrants ont pu rentrer chez eux, mais pas tous, deux sur trois seulement en Louisiane. Le territoire peut à nouveau être habité. Selon la richesse du pays, des protections peuvent être construites.
b. Les causes permanentes : il s’agit bien sûr des chaleurs extrêmes et de l’aridité, mais aussi de la hausse du niveau des mers. Les grandes métropoles, dont la population ne cesse d’augmenter, sont souvent côtières. Des travaux importants de digues par exemple sont possibles. Certains États organisent déjà des déplacements de populations, le Vietnam par exemple où 200 000 habitants du delta du Mékong sont déplacés vers des zones plus élevées.
2) Le migrant climatique
Le migrant climatique subit, il est pauvre, moins qualifié. Il reste à proximité de son habitat d’origine autant que faire se peut. Ses maigres ressources sont nécessaires à sa seule survie. Il ne peut pas financer sa migration.
Définir le migrant climatique est difficile, car plusieurs facteurs se conjuguent : facteurs économiques, politiques, religieux. D’où la difficulté de cerner complètement le phénomène et donc de bien chiffrer les populations concernées.
On note une extrême frilosité des États pour reconnaître le statut de migrant climatique. Les Nations Unies n’y sont pas encore parvenues.
3) Migrations internes et externes
Les dérèglements climatiques génèrent des risques géopolitiques entre États, mais affectent aussi les rapports sociaux à l’intérieur des États.
En 2023, on compte 148 pays ayant connu des déplacements de population à l’intérieur de leurs frontières pour causes climatiques.
De plus, il y a convergence des facteurs. C’est le cas en Somalie, où des personnes sont déplacées à la fois à cause de la sécheresse et à cause des conflits. Fin 2023, on comptait en RDC plus de 6 millions de déplacés internes.
Et c’est parce que la communauté internationale ne voit pas ces migrations internes, qu’elle méconnait ce phénomène. Si ces situations ne sont pas résolues rapidement, ces migrants vont franchir les frontières, et ainsi devenir des réfugiés qui vont avoir besoin d’une protection internationale.
4) Le triangle de l’incompréhension :
C’est trop simpliste de vouloir opposer « atténuation » pour le Nord et « adaptation » pour le Sud. Désormais, le Nord aussi doit gérer son adaptation pour son agriculture, son tourisme et gérer ses zones inondables.
Parler d’« adaptation » a longtemps signifié l’échec des politiques d’atténuation. Ce qui explique aussi l’attribution trop tardive des fonds d’aide internationale.
5) Les limites de la coopération internationale
La préoccupation est devenue internationale, mais les pays du Sud, l’Inde, la Chine et la Russie s’opposent à une gestion du problème par le Conseil de Sécurité de l’ONU. La causalité climatique de la migration n’est pas tenue pour avérée par tous les spécialistes.
Les États du Nord s’engagent sur 100 Mds US $ / an d’aide, ce qui représente 1/1000 du Produit Intérieur Brut mondial - équivalent pour chaque Français à 38€/an -, mais les fonds tardent à être débloqués.
Le climat devrait être un bien public mondial et transgénérationnel, un « commun ». Mais on se heurte à une double difficulté :
a. La pollution est par essence transfrontalière, nécessitant une gestion supranationale, alors que la gestion des conséquences du dérèglement climatique reste un problème national.
b. Les gouvernants aux mandats électoraux à court terme ont des difficultés à travailler pour les générations futures. En 2100, tous les signataires actuels des COP seront décédés.
6) Quelle adaptation pour le Sud ?
a. Pour leur agriculture, les pays du Sud devront abandonner la monoculture à visée d’exportation et trouver des plantes plus résistantes, et aussi diversifier leurs sources de revenus.
b. La culture de la prévention des risques est très différente selon les pays : en avril 2008, le cyclone Nargis en Birmanie a fait plus de 146 000 victimes. Au Bangladesh, 6 mois plus tôt, un cyclone de même intensité a fait seulement 3 400 victimes.
c. La pauvreté n’est pas toujours un facteur aggravant. Les usages ancestraux de prévention favorisent l’adaptation.

B. LES PRINCIPAUX FACTEURS DE GUERRES
Citons un extrait d’une interview de David Miliband – homme politique britannique président de l’International Rescue Committee à l’occasion de la Cop 28 :

« Les pires scénarios sont évidents. Le changement climatique exacerbe le stress sur les ressources. Le stress sur les ressources exacerbe les conflits. Les conflits exacerbent les flux de personnes, et vous vous retrouvez avec une situation ingérable ».

Sans prétendre à la moindre exhaustivité, je retiendrai ici 5 principaux facteurs de guerres

1) Les situations géopolitiques compliquées : les régimes politiques antagonistes, les freins culturels, religieux, raciaux
a. Où les Bangladais pourraient ils immigrer ? 80 % de la population vit dans les zones côtières qui se situent à moins de 2 mètres du niveau de la mer. Les inondations y sont fréquentes. Les habitants sont forcés de quitter leur lieu de résidence. Mais un mur les empêche d’émigrer en Inde, pays où sévissent des pogroms contre les musulmans. Et le Pakistan ne serait pas plus accueillant.
b. Au Darfour se mêlent une succession de conflits ethniques et la sécheresse extrême au Sud, pour provoquer conflits sanglants et migrations massives.

2) L’achat de terres arables : des pays comme la Chine ou les Pays du Golfe Persique achètent des terres agricoles en Asie, Afrique, Amérique Latine pour un total de 684 000 km², soit déjà plus que la superficie de la France métropolitaine.

3) Les pays forteresses : les flux migratoires vers la Russie, l’Europe, les USA, l’Australie génèrent de plus en plus de conflits. Citons la politique de la Forteresse Europe avec Frontex, qui délègue, moyennant finances, à des pays comme la Tunisie, le soin de contenir les flux migratoires.

4) Le partage conflictuel de l’eau, avec 4 situations emblématiques :
a. la gestion de l’eau est au cœur des problèmes du bassin du Tigre et de l’Euphrate partagé entre la Turquie (5 barrages), la Syrie, l’Irak et l’Iran,
b. le Nil est disputé entre l’Éthiopie, le Soudan et l’Égypte,
c. l’eau du Gange est disputée entre le Bangladesh et l’Inde (barrage de Farraka),
d. le lac Tchad a perdu 90% de son volume d’eau depuis les années 60 en raison de sa surexploitation et du changement climatique. Les conflits entre les éleveurs et les fermiers se multiplient.
5) L’indifférence : regarder ailleurs ?
Citons Marc Crépon dans Le consentement meurtrier (Cerf, 2012) :

D’un côté, cette conviction unanime : la solidarité humaine ne souffre aucune exception - toute atrocité, toute douleur, toute offense, où qu’elles soient, exigent soin et secours. De l’autre côté, sans exception aussi, chacun introduit des lignes de partage dans cette universalité affichée, admettant que ce qui se passe ailleurs, au loin, chez les autres, n’ait pas la même gravité qu’ici, chez nous... De cette incohérence à la fois grave et banale, comment peut-on sortir ? Une résignation désabusée qui se borne à légitimer le « consentement au meurtre ».

Les journalistes appellent ça le nombre de morts-km.

C. DES FACTEURS DE PAIX
Relevons tout de même quelques modestes facteurs de paix :
1. Grâce aux COP et aux ONG, la société civile est de mieux en mieux informée.
2. Le rôle des ONG : l’ACAT et sa revue Humains pour la reconnaissance du statut de réfugié climatique, l’OXFAM et sa fiche « 5 arguments pour défendre un meilleur accueil des réfugiés climatiques », REVI et sa contribution à la reconnaissance du statut et des droits des réfugiés environnementaux. CCFD Terre Solidaire, et bien d’autres. Mais aussi le Haut Commissariat aux Réfugiés de l’ONU.
3. La moindre indifférence des pays du Nord, à leur tour impactés par d’importants dérèglements du climat, comme les feux en Californie ou au Canada, en Europe les inondations (Belgique, Allemagne, Europe centrale…).
4. Une bonne cartographie des besoins permet de mettre l’argent au bon endroit.
5. Plus prosaïquement, la baisse de natalité dans les pays du Nord nécessitera d’accueillir des travailleurs migrants climatiques (voir les politiques de Mmes Merkel et Melloni)
6. Les jeunes sont impliqués : la Journée mondiale de l’eau le 22 mars 2024 coordonnée par ONU-Eau avait pour thème « L’eau pour la paix ». Le kit de mobilisation des écoliers sur le thème « L’eau pour la paix » leur apprend l’importance de la conservation des ressources en eau et de la consolidation de la paix.
7. Une coopération internationale tardive mais réelle avec la gestion enfin concertée du triangle de la coopération : atténuation, développement, adaptation.
8. Quelques accords locaux : prenons l’exemple du Tuvalu et de la Nouvelle Zélande : Le Tuvalu, ce sont 9 îles, 26 km², 10 000 habitants, 5 m d’altitude maximum – la hausse saisonnière du niveau de la mer ronge les côtes. Des migrations temporaires de 3000 personnes sont organisées vers la Nouvelle Zélande voisine qui a besoin de main d’œuvre en mars et avril.

Pour conclure, un seul mot : un homme ou une femme de paix doit s’informer des risques de conflits actuels et à venir liés aux dérèglements climatiques et, autant que possible, interpeller ses dirigeants sur leur manque d’audace pour y faire face.


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