Ainsi, à l’heure où l’on annonce la mort, -choisie-, du cinéaste Jean-Luc Godard et que sur les écrans de cinéma est projeté un film japonais intitulé « Plan 75 » où, pour lutter contre le vieillissement de la population, une prime est proposée à toute personne âgée d’au moins 75 ans qui mettrait fin à ses jours, l’avis du Conseil consultatif national d’éthique sur la fin de vie fait écho aux préoccupations d’une société française à la dérive et résonne comme une mise en garde.
Sous le titre « Questions éthiques relatives aux situations de fin de vie – autonomie et solidarité », le Comité national consultatif d’éthique (CCNE) juge possible en effet d’autoriser « une aide active à mourir », ce que certains appellent « le suicide assisté ». Nous prenons acte que plusieurs pays européens (Suisse, Belgique, etc…) ont ouvert la porte à cette possibilité. Nous prenons acte aussi que, si ce texte a été voté à la majorité des membres du Comité, il ne l’a pas été à l’unanimité, huit de ses membres ayant souhaité exprimer une « réserve » qui figure en fin de l’avis.
Ceci interroge le chrétien que je suis. Dans son rapport à la maladie, à la mort, la mienne et celle de mes proches. Cette échéance à laquelle personne n’échappe est toujours une expérience douloureuse pour les familles. Elle suscite l’empathie. Elle nous interroge sur le sens même de nos vies.
Le rapport du Conseil national consultatif d’éthique stipule que …. « La demande d’aide active à mourir devrait être exprimée par une personne disposant d’une autonomie de décision au moment de la demande, de façon libre, éclairée et réitérée. » Le texte évoque la possibilité « d’un accès légal à l’euthanasie, (…) sous la (..) condition d’un pronostic vital engagé à un horizon de moyen terme ». Evoquer une possible échéance vitale à moyen terme » ne peut satisfaire personne.
La question du rapport à la mort : j’ai vu évoluer en quarante-deux ans de ministère pastoral le rapport à la mort et j’ai pu constater le passage de processus d’inhumation largement majoritaires à des processus de crémation, avec ou sans urne, et le cas échéant avec dispersion des cendres au « jardin du souvenir » ou dépôt des cendres au « jardin des roses ». Le deuil n’en est pas moins difficile à vivre, et le rapport au défunt, et à sa mémoire, toujours complexe.
La dépression et la solitude des personnes âgées nous interrogent. Et l’avis du Comité consultatif national d’éthique sonne comme le « coup de grâce » porté à une génération qui depuis deux ans, notamment, s’est trouvée confinée, privée de visite dans les établissements de santé, ou réduite à manger sur la terrasse pour ne pas risquer de contaminer les autres membres de la famille… N’avons-nous pas vu des familles réduites à saluer sur le trottoir leur proche confiné derrière une vitre ? Le constat que je fais est que la désespérance s’est installée en dépit du dévouement et de la compétence des personnels de santé. Cette société qui est la nôtre, sans perspective, sans projet, est réduite aux acquêts. Elle ne sait élaborer ni nouvel humanisme ni utopie, et n’offre à ses anciens pas plus qu’à sa jeunesse, d’apaisement
Sans parler du coût sociétal à l’infini réaffirmé : les personnes âgées coûteraient cher. Elles apparaissent ainsi de plus en plus comme un poids pour la société, comme une charge insupportable. En outre, la société évoluant rapidement, les anciens n’auraient plus rien à transmettre, leur savoir étant périmé. En réponse à cela, il convient de promouvoir une société plus inclusive, favorisant le lien social c’est-à-dire intégrative.
Je me prononce pour l’application de la loi Claeys-Léonetti de 2016, orientation qui ne dispose pas des moyens nécessaires. La loi avait retenu la sédation « profonde et continue » dans un relatif consensus, que n’offrent pas les réflexions d’aujourd’hui.
Je me prononce également pour le développement des services de soins palliatifs pour accompagner des personnes âgées devenues dépendantes et toujours fragilisées physiquement et psychiquement. Dans ce contexte, le rôle des aumôniers d’hôpitaux ou de maisons de retraite, est une utile contribution à un accompagnement personnalisé.
Dans le dernier paragraphe de l’avis du CCNE, celui-ci évoque une clause de conscience, un « droit de retrait » que pourraient exercer les professionnels de santé sous réserve de référer le patient a un autre praticien (…). »
Il apparaît que la vie ne peut se réduire à son utilité sociale. Elle renvoie aussi à des réalités symboliques et spirituelles. La Bible interroge l’humanité sur ce point et nous dit : « J’ai mis devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction. Choisis la vie afin que tu vives, toi et ta descendance, en aimant le Seigneur ton Dieu, en l’écoutant et en t’attachant à lui : c’est lui qui est ta vie, la longueur de tes jours, pour que tu habites sur la terre que le Seigneur a juré de donner à tes pères, Abraham, Isaac et Jacob ». (Deutéronome 30/19-20). Notre société doit choisir la vie.
Il nous faut donc retrouver l’amour des anciens, respecter fondamentalement ce qu’ils sont et ce que nous leur devons de connaissance, de transmission d’éléments de culture et de spiritualité. Leur faire une nouvelle place parmi nous et inventer de nouvelles relations au cœur même de situations familiales fréquemment recomposées. Sans quoi notre société sera vouée à l’échec, et privée d’espoir et d’avenir.
Ici et là dans nos communes apparaissent des lieux nouveaux, des pôles intergénérationnels, des résidences séniors avec services partagés. La mise en commun des savoirs, des outils du savoir, et la promotion de l’accompagnement et de l’écoute doivent être encouragées pour un mieux vivre ensemble. Il n’y aura pas d’alternative à cela pour permettre à notre pays de faire preuve de dignité. Yves Parrend