Les interventions :
Patrick LOUIS : Évolution du « sens du travail »
Michel Weill : Émancipation par le travail, passage de « qualifications » à « compétences ».
Thierry ROCHEFORT : Évolutions de la qualité de vie au travail et de la performance du travail
Les témoignages
Nathalie PATONNIER : Un changement radical de profession
Océane DUMANGE : Le travail pour… avoir de quoi vivre
Sarah Diane RITT : Vivre le « slashing »
Prendre du recul, approche biblique
Hélène BARBARIN
Pierre-Olivier DOLINO
Anne KOVALEVSKY : Adam et Eve
L’évolution du sens du travail
Par Patrick LOUIS : Professeur agrégé d’économie et de gestion et docteur en sciences politiques, il enseigne à l’université Jean-Moulin-Lyon-III, à l’ESDES et à l’EM Lyon. Il est le directeur du site interactif de géopolitique : geolinks.fr et cofondateur de l’école de commerce Hestrad, fusionnée ensuite avec ESDES – faculté catholique.
« Le travail, c’est de l’amour rendu visible » Khalil Gibran dans Le Prophète
Les réflexions chrétiennes sur le travail sont finalement assez pauvres : Saint Augustin, Saint Benoit, Luther, Encyclique Rerum novarum.
« C’est par le travail que l’homme doit se procurer le pain quotidien et contribuer au progrès continuel des sciences et de la technique, et surtout à l’élévation constante, culturelle et morale de la société dans laquelle il vit en communauté avec ses frères. » écrit Jean Paul II dans son encyclique Laborens exercens.
Plus largement dans l’histoire, on peut détecter 6 manières de penser le travail. Ces conceptions s’entremêlent et sont encore aujourd’hui présentes quand on pense le travail.
Le travail punition
Le travail est lié à la déchéance des origines ; L’étymologie du mot travail, tri pallium était un instrument de torture et une entrave pour les chevaux. Aujourd’hui encore, le travail est vu comme une punition.
A la sueur de ton front tu mangeras le pain (Gn 3,19)
Le sol sera maudit à cause de toi. C’est dans la peine que tu t’en nourriras tous les jours de ta vie (Gen 3 17)
Aujourd’hui, l’enseignement technique est moins valorisé que le travail intellectuel. La hiérarchie entre cols bleus et cols blancs reste fortement ancrée dans nos têtes.
Le travail en vue d’une récompense
Le travail donne un fruit matériel, visible.
L’ouvrier mérite salaire (Luc, 10,7)
Ils sont vraiment moines lorsqu’ils vivent du travail de leurs mains comme nos pères et les apôtres. Saint Benoit
Le travail vocation
Le travail a un fruit non matériel, non visible. Il a un sens, c’est une participation à la création.
Mais gagner sa vie n’est pas le but de sa vie Marc 8,36
On trouve cette idée chez Calvin, Léonard de Vinci, Max Weber. Le monde n’est pas donné. L’homme grandit en faisant grandir le monde. C’est le monde de l’artisanat bien fait.
Le travail machine
Celui qui possède la machine crée un lien de dépendance avec celui qui l’utilise. L’homme devient une force de travail. Au fil du temps, la machine fait toujours plus avec toujours moins d’homme. Le paysan qui venait du monde complet de la terre est transformé en exécutant, en vendeur de force de travail.
Le travail statut social
Travailler, c’est avoir un emploi. Celui qui n’a pas d’emploi ne travaille pas : ainsi la mère au foyer. Ce que je fais disparait derrière ce que je suis socialement.
Un chercheur d’emploi cherche un statut social autant qu’un salaire.
A la question : Que fait ton papa ? L’enfant répond il EST ouvrier, boulanger. Il ne répond pas il fait une voiture, du pain… Ce qui est fait disparait derrière la logique sociale.
Le travail temps contraint
Travailler, c’est accepter d’avoir du temps contraint, aliéné. Le Ministère du Temps libre indique bien qu’on est libre quand on ne travaille pas.
Le travail ne se mesure pas à ce qu’on en fait mais au temps qu’on y passe.
A travail égal, salaire égal. Egal sur le temps passé ou sur la tâche réalisée ?
Notre année est scandée par les vacances scolaires : l’année ne commence pas le 1 janvier.
Le travail humain valorise à la fois la matière et l’homme qui travaille. L’homme croit en face de son œuvre. Il ne peut anoblir la matière si lui-même décroit pendant le travail. Il y a bien une différence entre les actes de l’homme et l’acte humain qui engage la volonté et l’esprit. Le travail authentiquement humain a une dimension objective et une dimension subjective.
Tirer un revenu du travail ne dit rien de sa finalité. Mais la première récompense est le regard de celui qui a fait le travail. Le revenu est une conséquence seconde de l’œuvre accomplie.
La rémunération est liée au contexte du marché du travail qui dit où sont les besoins, parfois les fantasmes. Cela ne dit rien de son utilité. L’instituteur a plus d’importance que le trader. Un instituteur fait grandir un enfant, le trader gagne de l’argent.
La revendication de monter le revenu, de baisser le temps de travail ne dit rien de sa finalité. le temps passé est le temps perçu, ce n’est pas sa durée.
Nous ne sommes pas des esprits purs. Dieu s’est fait homme. La matière est belle et grande. Il n’est pas bon de ne plus avoir de relation avec la matière. La connaissance de la matière augmente l’effet du travail. Pour dominer la matière, il faut lui obéir. La relation à la matière permet de faire jaillir la puissance de l’homme, au prix de cette humilité. Quand on est sur un écran, il n’y a pas de réalisme. l’autre devient une construction.
Un cadre, un professeur transforme l’intelligence de celui qui est en face : il faut une belle humilité. Un cadre ne dirige pas sans connaître ses équipiers. Cela passe par l’intelligence de la main qui fait découvrir que nous avons nos limites et nos pouvoirs.
Dans le travail, il y a la place de l’outil. L’outil est beau quand c’est la main qui le tient, pas quand l’outil tient la main. L’outil est hypertrophié avec les écrans, il multiplie le délire de la puissance.
On retrouve ce phénomène en droit où l’excès de procédure fait perdre l’intelligence de la finalité de la justice. On libère un prisonnier car il manquait d’encre dans l’imprimante : la forme prime le fond.
Pour qu’un travail soit humain, il faut laisser la place à l’inspiration, un espace de liberté qui permet à l’homme de faire quelque chose qui le dépasse. Ce que je fais me commande, m’impose des choses, me libère de ma condition.
En travaillant, je casse des pierres, je nourris ma famille et je construis une cathédrale, tout à la fois.
La finalité du travail humain est source d’humilité et d’obéissance, de puissance et de création. C’est l’activité humaine par excellence !
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Quelle relation au temps ? La création d’une œuvre n’est plus ressentie sur un chantier. A force de pression sur la vitesse, il n’est plus possible de bien faire.
Un Chinois me disait : Vous Occidentaux, vous avez la montre, nous Chinois, nous avons le temps.
Il convient d’intégrer la durée dans nos préoccupations. Aujourd’hui, on plante des Douglas pour les abattre dans 30 ans, et on acidifie la terre. Plantons des chênes.
En ville, passons du « Je rase et reconstruis » à « Je rénove. ».
Avec du temps, on peut faire de l’argent. Mais le temps n’est pas de l’argent.
J’ai été amené à travailler comme manœuvre, puis comme permanent syndical. Le travail concret c’est qui définit les contraintes temporelles et qui définit le salaire. Pour le capitalisme, l’humain est un problème pour la loi du profit.
Je pars de l’apologie de l’artisan. Le capitalisme est un mode de production qui s’appuie sur la propriété. Le libéralisme est une philosophie pour utiliser ce mode de production. Le libéralisme philosophique devient individualiste, hédoniste. Il donne le primat à la force. Je ne suis vraiment moi-même que lorsque je suis dans une communauté qui me laisse m’épanouir.
Vous n’avez pas de réflexion sur la structure entre l’œuvre et la personne. Il y a le contexte, l’équipe, le collectif.
Oui, l’organisation devient prégnante quand elle devient grosse. La liberté de la main s’en ressent. Lisez le livre d’Olivier Rey Question de taille Les Essais Stock 2014.
Emancipation par le travail, passage de qualifications à compétences
par Michel WEILL : Socio-économiste du travail, il a été directeur général adjoint de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT), et vice-président du CESER Rhône-Alpes au titre de la CFDT.
Cet exposé est issu d’un travail collectif de la CFDT lors de plusieurs de ses sessions d’été. On en retrouve le détail dans le livre de Michel Weil : S’émanciper, Chiche ! Mettre l’émancipation au cœur du travail Chronique sociale 2019.
L’émancipation, c’est le pouvoir d’agir. S’émanciper vient de lâcher la main, le travail. Mais la question vient vite : s’émanciper DU travail ou DANS le travail ? Est-ce un processus individuel ou collectif ?
La notion d’émancipation est culturellement et socialement marquée. On s’émancipe par rapport à une situation, à un lieu.
L’émancipation individuelle est un leurre : on devient esclave de soi-même. On ne peut s’émanciper que dans le miroir de l’autre. La dimension collective est incontournable.
La notion d’émancipation n’est pas une valeur universelle, en tout cas sous la même forme. En Occident, l’émancipation consiste à pouvoir sortir d’un groupe pour se réaliser. En Chine, l’émancipation n’est possible qu’à travers le groupe. Mais prenons de la distance par rapport à notre culture individualiste.
L’émancipation peut-elle se réduire à l’organisation dans laquelle nous sommes ? Non, il existe bien un enjeu global : ce qui compte, c’est la finalité ultime. La RSE est un levier important de ce passage de l’organisation à l’externe. On peut appliquer ses principes à toute entreprise, toute organisation, services publics compris.
Un travail de qualité est forcément collectif, même si on en fait un bout individuellement. Le travail est toujours fait pour quelqu’un : il y a au moins ce lien qui nous sort de nous-mêmes.
Chiffre et travail collectif
Une école sociologique affirme que l’origine de nos maux vient de ce que nous voulons tout chiffrer. Ce serait la source de l’aliénation. Mais l’absence de chiffre ramène à la subjectivité. On ne dialogue avec un autre qu’en faisant un effort d’objectivité. Le chiffre unique est critiquable car la réalité est multiple qu’un suage mécanique du chiffre ne saurait décrire. Il convient de construire ensemble ce qui va permettre de mesurer le travail. Discuter des chiffres permet de construire une compréhension commune du travail.
Santé et performance
La santé ne s’oppose pas à la performance. C’est un sujet permanent pour l’ANACT (Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail). La mauvaise santé, les troubles musculo-squelettiques vont à l’encontre de la performance du travail. Yves Clot a démontré cela dans de nombreuses études.
La maladie est le résultat d’une recherche effrénée d’une performance immédiate. De même, la question de l’estime de soi est une source incontournable de santé et d’efficacité. La reconnaissance par les pairs et le chef est essentielle pour cela.
Qualification et compétence
La qualification, c’est ce qu’on a au pied du mur. Elle reconnait la capacité de faire un mur. La compétence se voit en haut du mur. Elle est savoir, savoir-faire, savoir technique et enfin savoir relationnel pour travailler avec les autres.
Le savoir relationnel, c’est la capacité de travail collectif, la capacité à dialoguer avec les clients, à écouter leurs besoins. Elle permet la réactivité face à la panne. Elle soutient le souci de la qualité et permet ensemble d’arbitrer entre quantitatif et qualitatif. Elle permet la recherche du progrès plutôt que la conformité.
Tout ceci montre que parler compétences ouvre bien au sens du travail donc à son émancipation. Il y a un lien fort entre compétences et savoir relationnel.
Emancipation, les dix commandements
Intégrer l’émancipation comme un enjeu de tout combat classique sur le travail
Transformer les questions personnelles en débat social.
En arrivant à combiner les demandes individuelles on peut faire avancer les choses. A travers les questions individuelles, on trouve des questions collectives sur l’organisation du travail.
Se mettre au service de et non rendre un service
On ne peut pas avoir une idée préconçue sans écoute. Ce n’est pas si simple à faire dans une organisation complexe.
Travailler au développement des ressources psycho-sociales plus qu’à la prévention des Risques Psycho Sociaux (RPS)
Il convient d’appliquer au monde du travail un mode curatif de ces RPS, éventuellement faire un peu de prévention. L’ANACT et la CFDT veulent regarder positivement les collectifs de travail pour donner aux individus les ressources. La médicalisation qui se développe en entreprise n’est pas une solution de long terme. le vrai boulot, c’est d’éviter que les gens ne tombent malade, qu’ils restent contents de leur travail. Y réussir, c’est assurer une belle performance collective.
Re-connaître l’expérience
S’approprier le sens de l’activité
C’est s’approprier le sens de l’activité. On ne peut pas être fier de son travail si on ne sait pas à quoi il sert. Ce n’est pas une apologie de l’autogestion, C’est demander au moins une communication descendante sur ce thème.
Se forger une opinion personnelle par un effort d’information
Nous sommes submergés par l’information. Exercer individuellement et collectivement un esprit critique et distinguer la qualité des informations.
S’émanciper de la technologie et du seul matériel
Technologie et logiciels sont toujours inclus dans un service. Mais nous restons très contraints par la logique industrielle. C’est passer de la voiture à la mobilité.
S’émanciper du risque par le bon usage du principe de précaution
Cela ne signifie pas ne rien faire. C’est repérer les méconnaissances actuelles des niveaux de risque. C’est investir dans la recherche pour réduire cette incertitude. Il y a une ligne de crête entre approfondir en s’arrêtant et ne pas prendre trop de risques en continuant.
S’émanciper du temps : méditation et travail ?
On ne peut plus séparer temps de travail et d=temps hors travail. On voit qu’il arrive à des cadres de faire des temps de méditation.
L’évolution de la qualité de vie au travail et de la performance du travail
par Thierry ROCHEFORT : Professeur associé à l’Université Lyon III en socio-économie du travail, ancien de l’ANACT, il est aujourd’hui chargé de mission à EDF sur les conditions de travail, et consultant.
Je m’efforce de retisser des liens qui se distendent à cause de cloisonnements, de logiques de performances, d’égoïsmes qui tous amènent une réduction de la place de l’humain.
J’ai toujours essayé de mêler actions et réflexions, de ne pas confondre action et activisme. Il est important de penser les choses avant et après l’action.
Je vois beaucoup d’inconséquence dans l’entreprise sur ce qu’on fabrique en termes d’implication et de motivation. L’association des personnes au changement est essentielle. Je pense que la réalité est difficile. On s’affronte à des souffrances sociales, aux difficultés des syndicats et des forces sociales à agir. Mais on peut réussir. Yves Clot parle de ressources sociales, pas de risques psycho-sociaux. Efforçons nous de construire un chemin.
Qualité de vie au travail et performance
Ne désespérons jamais. En écoutant, en dialoguant, on peut construire des choses qui font avancer et progresser.
Un constat préoccupant
Ainsi, selon Gallup, 90% des salariés se disent désengagés ; David Graeber pointe la multiplication des boulots de merde (bullshit jobs), ces postes qui ne servent à rien. On voit des démissions de cadres de haut niveau démissionner de leur banque, leur assurance, leur société d’informatique pour devenir artisan boulanger, charpentier, paysagiste. Ces démissions disent qu’il n’est plus possible de se battre.
Le vrai travail doit rentrer dans les organisations. Il faut bouger avec les syndicats, les managers, les collaborateurs qui en ont envie. Mais des fausses réponses aggravent les difficultés.
Des fausses réponses, superficielles qui aggravent le mal.
Dans les entreprises, se développe une psychologisation à outrance des relations sociales. Numéro vert pour les uns, coaching individuel pour les dirigeants. A chaque fois, ce n’est qu’un problème individuel. Il n’y a aucun débat collectif, on sépare les individus, on les traite sélectivement.
On voit des choses qui contournent les problèmes. On affiche : conciergerie, baby foot, massage, méditation. Ce sont des dérivatifs. Si vous avez un chef harceleur ou des conditions de travail dégradées, cela ne changera rien.
Il y a beaucoup d’infantilisation des relations sociales. Les dirigeants se questionnent, ils n’ont pas l’occasion de creuser les sujets. 10 post it sur un mur de font pas réflexion.
Des entreprises dans un double mouvement contradictoire
D’une part, le mouvement des entreprises libérées vise à développer plus d’autonomie et de responsabilisation, à supprimer les niveaux hiérarchiques. Cela témoigne d’une demande des salariés d’être reconnus. Mais cela s’accompagne souvent d’excès et de dogmatisme. Des cadres bureaucrates deviennent d’un coup managers d’une entreprise libérée ! L’ennemi est désigné, c’est le manager intermédiaire. Soyons plus prudents. Les managers de proximité reçoivent des critères de performance en coût, qualité, délai qui sont contradictoires et nécessitent des arbitrages. Absence de manager, cela signifie absence de hiérarchie au quotidien pour réguler ces contradictions. Le salarié a besoin de se retourner vers ce régulateur. Ce n’est plus « Je prescris, je contrôle » mais « J’appuie, le conseille, j’arbitre » L’entreprise libérée sans régulateur conduit à la violence et à l’exclusion des plus faibles.
D’autre part, les entreprises sont dans un mouvement incessant de rationalisation des process qui visent à standardiser les manières de faire et d’agir, via notamment les systèmes d’information. « Sois autonome et fait du reporting ».
Pour redonner du sens, il faut affronter cette contradiction.
Mon expérience de 25 ans d’accompagnement, l’engagement authentique des salariés est favorisé par un travail subjectif qui leur appartient. On voit la patte de celui qui l’a fait. La patte signifie appropriation qui empêche la normalisation.
Les démissionnaires sont incapables de dire à quoi sert leur travail. Un travail ne se fait jamais seul, il est toujours collectif
Sur quels ressorts agir pour favoriser l’engagement ?
Il ne faut pas se tromper sur la nature du travail. Les sources de l’engagement sont multiples :
• Un travail comporte des éléments matériels satisfaisants : il faut être attentif aux conditions matérielles de l’activité.
• Un travail est collectif. Les gens se sortent de changements s’ils appartiennent à une équipe. Développer, valoriser le collectif est important. Si on ne sait pas donner, on ne reçoit pas. Un manager que ne fait que capter conduit à une ambiance délétère. Avant tout projet de transformation, il faut un projet d’équipe, recréer du collectif.
• Un travail se transmet. Il y a un besoin de figures légitimes. l’autorité, ce sont des gens en qui ils font confiance, à qui on s’identifie. Aujourd’hui, les plus anciens sont dévalorisés. Les jeunes ne s’identifient plus à eux, ne veulent plus leur ressembler.
• S’il n’y a pas de possibilité d’apprentissage, tout devient abrutissant.
• Un travail riche en « épreuves », en exigences et défis apporte de l’engagement. Des jeunes ne se sont pas engagés, une bande de fainéants. On rapatrie des pièces compliquées à faire… et ils ne comptent plus leurs heures. On avait créé un défi, une exigence collective. « Evidemment nous sommes à la hauteur ».
• La présence de marges de manœuvres permet de s’adapter aux conditions réelles de l’activité. Les cadres ont besoin de voir le bout de leur travail. Yves Clot dans le travail empêché montre bien que le travail haché à l’infini fait perdre tout sens de ce qui a été fait.
• Des signes de reconnaissance externes qui montrent que le travail est apprécié, qu’il a donc du sens pour un autre sont nécessaires.
• La fierté du travail bien fait permet de « se contempler dans son travail », expression de Simone Weil.
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Comment la situation évolue-t-elle ?
Aujourd’hui, on voit beaucoup de progrès dans les conditions physiques du travail. Il y a moins d’accidents mortels. Mais certaines choses demandent des moyens : un ordinateur qui plante dix fois dans la journée est insupportable.
On peut faire avec ce qu’on a : c’est bien ce qu’on voit dans les hôpitaux aujourd’hui.
Sur le relationnel et la montée réelle de la souffrance psychique et mentale, restons vigilants. Des patrons ignorent cet aspect en ne regardant que les conditions matérielles.
Sur le sens du travail et sur la reconnaissance, les entreprises ont reculé.
Faut-il s’en étonner ? Les entreprises ont mis plus de 100 ans à comprendre l’intérêt pour elles des conditions matérielles du travail. il faut maintenant les convaincre de l’intérêt des conditions mentales.
Comment garder la main avec l’ordinateur ?
La fracture numérique est une vraie question de société tant pour les salariés que pour les autres.
Que penser des gilets jaunes et de la bataille sur les retraites ?
Si 90 % des salariés se disent désengagés, c’est parce que leurs représentations mentales ne sont pas partagées. Les salariés ont une compétence pour décrire ce qu’ils vivent ; Exclure ces représentations est une erreur.
Quelle relation au pouvoir ?
Bienveillance, autonomie, marge de manœuvre. Des managers racontent qu’ils sont épuisés, surchargés, travaillent tout le week end. Ils ne répondent pas à l’appel de délégation, à ce qu’il faut lâcher pour se préserver. Quelle est sa puissance quand on est en burn out ?
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Témoignage de Nathalie PATONNIER : Un changement radical de profession
Nathalie Patonnier termine son mastère de théologie pratique pour devenir pasteur
D’abord un questionnement des termes choisis par d’autres pour dire ce dont je peux témoigner… Est-ce que c’est une profession « pasteur.e » ? Quelqu’un précédemment a parlé de savoirs, savoir-faire et savoirs relationnels, identifiés par une instance ad hoc comme nécessaires. Etre pasteur engage aussi à exposer, à exprimer quelque chose de sa propre foi devant les autres. Ensuite la pasteure engage sa responsabilité vis-à-vis de ses co-religionnaires dans ce que l’on appelle le ministère de l’unité : il s’agit d’être au service de tous et de chacun, au service des relations entre les personnes qui forment la communauté.
Enfin, dans la France d’aujourd’hui à la fois complexée par sa propre déchristianisation, avec un fond d’anticléricalisme pas toujours assumé, et un cocktail détonnant de tabous et de totem au sujet du spirituel chez les êtres humains, être pasteure c’est affronter la déchristianisation comme une chance pour redire l’évangile « à neuf », assumer une fonction qui peut tendre vers le clérical dans une église qui affirme le sacerdoce universel, fournir l’occasion aux personnes que je rencontre de révéler leur propre position face aux religions en général et à la mienne en particulier.
Le simple fait de dire « je suis en formation pour être pasteure » donne lieu à des réactions très variées… Il est possible d’interpréter mon chemin comme un passage de « compétences » à « qualifications », un peu à l’inverse de ce qu’a décrit Michel Weill, dans la mesure où j’envisage le pastorat comme un positionnement au pied d’un mur de Sisyphe, comme une possibilité de réalisation de ma propre humanité dans des savoir-être relationnels qui sont toujours en construction. Je ne prononce pas pour moi-même les mots de libération ou d’émancipation, mais un service, un ministère (de minus, petit) qui aliène dans le sens où il s’agit de vivre dans, par, avec, au milieu des liens des personnes entre elles, avec pour moi, la conscience qu’entre moi et toi, humain chacun, il y a un Autre, qui veut l’humanité.
Une deuxième remarque sur ce sous-titre, sur le changement radical… Là aussi, il est possible de dire oui et non. Oui, car il y a eu des changements dans ma vie, mais non car ils ne sont pas tous de ma propre initiative, puisque pour entrer sérieusement dans la formation, j’ai d’abord été licenciée… C’est ici que mon témoignage rejoint les éléments de réflexion donnés par Patrick Louis sur l’évolution du sens du travail depuis 30 ans. Dans mon cas, les difficultés ont commencé quand un nouveau directeur est arrivé et que ses décisions de réorganisation allaient toutes dans le sens d’une diminution de la masse salariale. Dans une entreprise d’une centaine de salariés, quand presque 20 personnes partent en quelques mois, que le travail change, les tâches que l’on fait au quotidien changent, sans qu’il y ait ni explication, ni discussion, et encore moins de concertation, et quand ceux qui prennent la parole à ce sujet parlent dans le vide… je vous laisse imaginer l’impression de néant, de déni, la perte totale de sens que cela représente.
En 30 ans, les services du personnel sont devenus des Ressources Humaines. D’un nom Personnel à un adjectif Humain qui complète le mot ressources. Le nom a plus de poids que l’adjectif qui n’est que son qualificatif. Les ressources définissant tous les besoins de l’entreprise pour fonctionner.
Avant la révolution industrielle, on parlait d’artisan. Puis on a parlé d’ouvrier, puis du personnel qui est déjà plus impersonnel. Puis de ressources où l’humanité disparaît.
Dans les injonctions à être autonome, créatif tout en entrant dans le cadre, il y a une schizophrénie. Utiliser sa capacité d’adaptation tout en mettant le plus possible sous contrôle. Cela génère une tension qui va vers la violence et le fil finit par lâcher.
J’ai été comptable pendant 16 ans dans la même coopérative viticole. J’y ai fait des choses très variées. J’ai pu beaucoup m’adapter mais cela n’avait pas de valeur. Comme élue CFDT, j’ai fait la comptabilité fournisseur et j’étais en contact avec tout le monde.
Ce sera la même chose comme pasteure. mais j’aurai plus de cohérence pour moi-même.
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Témoignage d’Océane DUMANGE : Le travail pour… avoir de quoi vivre
Océane est Educatrice spécialisée. Elle travaille en Foyer de Jeunes Travailleurs (FJT) sur Villeurbanne dans l’accompagnement vers l’insertion socio-pro des jeunes de 16 à 30 ans, par l’intermédiaire du logement, mais aussi autour de thématiques comme la santé, la culture, la formation et le travail.
Public du FJT : Public minoritaire : Etudiants et apprentis, jeunes travailleurs qui viennent des autres régions et sont ici de manière transitoire le temps de trouver un appartement. Jeunes travailleurs en période d’essai ou en intérim et qui ne peuvent prétendre à un logement au regard de la précarité de leur situation selon les bailleurs (ex : jeunes n’ayant pas de garants physique). Public majoritaire : mineurs et jeunes adultes en situation de rupture familiale (jeunes ayant de placement dans l’ASE, difficulté relationnelles avec leurs familles ou la séparation : jeunes orphelins et anciens MNA).
Concernant ces jeunes le point commun est l’isolement, et le faible niveau d’étude, parce que peu d’étayage familial. Situation encore plus délicates des ancien MNA n’ayant pas l’autorisation de travail. Travail focalisé sur ces jeunes-là qui sont dans l’isolement, ce qui va avoir un impact sur leur rapport au travail.
Exemple de plusieurs jeunes (j’ai gardé l’anonymat des prénoms) :
Nathan : situation de rupture familiale, maltraitance pendant l’enfance, 21 ans, alcoolique. Il ne supporte pas de rester chez lui sans rien faire mais n’arrive pas à tenir le cadre d’un emploi : arriver à l’heure, venir tous les jours, ne pas pouvoir s’absenter quand bon lui semble. Il a besoin de lien fort avec son employeur, de quelqu’un qui lui fasse confiance. Mais il ne tient jamais une période d’essai. Travaille actuellement de manière non déclarée. Il gagne sa vie ainsi mais ne peut pas prétendre à un appartement, puisqu’il n’a aucun revenu déclaré. Il veut travailler, mais de par ses addictions, il n’est pas capable de le faire dans un cadre d’emploi classique avec des horaires et heures de présence. Il a envie de travailler, besoin de s’engager. Il vit au jour le jour car il n’arrive pas à faire avec les contraintes liées à un emploi. Mais il est un jeune obligé de travailler puisque pas encore bénéficiaire du RSA.
Nassim : jeune français, avec une forte problématique familiale, il est inscrit à la Mission Locale. Lors d’un entretien je lui demande dans quel secteur il cherche ? « Dans tout » me dit-il. Je lui demande s’il n’y a pas un secteur qui lui plairait plus qu’un autre ? Il me répond que de toutes façons à quoi bon, il ne pourra jamais faire ce qu’il veut dans tous les cas. On voit là l’importance de la confiance en soi dans le parcours de formation et de recherche d’emploi. Il est difficile de trouver la motivation quand il faut supporter les contraintes du travail sans avoir de contrepartie autre que financière.
Alex : jeune homme en situation de handicap cognitif, mais qui a du mal à reconnaître ses difficultés. Il souhaiterait devenir chef d’entreprise pour concurrencer Tesla en lançant une nouvelle gamme de voitures électriques. Il est suivi par la Garantie Jeune : l’accompagnement de ce jeune consiste surtout à lui faire prendre conscience de sa réalité afin qu’il puisse se trouver de nouveaux objectifs à la hauteur de ses capacités. Le milieu du travail actuel pas forcément ouvert pour ce type de profil de RQTH.
Baptiste : orphelin de père, craignant pour sa vie s’il restait dans son pays, il est venu chercher une vie meilleure en France.Il a vécu des choses traumatisantes, avait régulièrement des idées noires à sa majorité. Baptiste a 20 ans, il est actuellement en bac pro pour devenir technicien en logistique et transport. C’est un jeune très sérieux, un des meilleurs de sa classe alors que le français n’est pas sa langue maternelle. Il fait régulièrement des stages, tous les patrons avec qui il a travaillé sont prêt à l’embaucher. Seulement voilà, Baba n’en a pas l’autorisation. Il déteste le fait de dépendre, de « vivre au crochets » de l’Etat Français, selon ses termes à lui. Il veut travailler, il veut payer des impôts, mais il n’en a pas le droit. Il vit donc avec 565 € par mois, que lui verse le conseil général, et une fois qu’il a payé son loyer il ne lui reste que 137 € par mois pour se nourrir, payer ses transports en commun et son abonnement téléphonique. Bien sûr il ne peut s’acheter aucun vêtement et ne va par exemple jamais au cinéma. S’il n’a pas de papiers d’ici septembre, il sera à la rue et n’aura plus aucune ressource pour vivre.
Sacha : un autre jeune, qui vient de l’étranger, mais qui lui, a décidé de travailler de manière illégale pour arrondir les fins de mois. Le travail n’est pas passionnant : livreur dans une grande compagnie de livraison de repas pour laquelle il suffit de créer un compte sur internet pour être déclaré auto-entrepreneur. Bien sûr, le compte n’est pas à son nom, puisqu’il faut une autorisation de travail pour pouvoir s’inscrire sur ce site. Je ne sais pas comment il s’arrange avec la personne qui lui prête son compte, mais il doit sûrement y avoir contrepartie financière. L’autre jour j’étais dans un dilemme : dois-je lui rappeler que c’est interdit de travailler sans autorisation ? Et que s’il se faisait prendre on pourrait même l’accuser d’usurpation d’identité, puisqu’il travaille sous un faux nom ? Dois-je lui dire de se contenter de 137 € pour vivre, et ne rien pouvoir faire de plus pour lui ? J’ai décidé de quand même lui parler parce qu’il fallait qu’il soit au courant des conséquences possibles et des répercussions sur son titre de séjour que cela pourrait avoir. Il a arrêté de travailler. Malgré tout, il paye son loyer tous les mois et n’a aucune dette. Mais il ne fait que « survivre ». C’est une souffrance quotidienne pour lui de ne pas pouvoir travailler. Dans ces deux dernières situations, le travail est vu comme une liberté et non pas comme une aliénation.
Certes aujourd’hui dans notre société, un certain nombre de jeunes n’ont plus la même vision du travail, ils veulent celui-ci épanouissant, rapportant de l’argent, laissant du temps, et ayant du sens. Mais il existe aussi toute une partie de la population qui n’a pas le choix, qui travaille pour sa survie. Pourtant le travail n’en est pas moins pénible pour eux, et ils rêvent bien souvent à d’autres aspirations. Il y a aussi d’autres jeunes qui n’ont même pas accès au travail, et qui se retrouvent « obligés » soit d’attendre qu’on leur en donne l’autorisation, soit d’aller à l’encontre de nos lois pour travailler. Grand paradoxe entre ceux qui travaillent et voudrait s’arrêter et ceux qui ne travaillent pas et qui voudrait le faire. L’être humain ne désire-t-il pas toujours ce qui lui manque ? Dans tous les cas je constate que si nous avons vraiment le choix, au niveau de nos missions, de nos horaires, etc... Je ne pense pas que nous en serions là. D’où la nécessité, pour sortir de l’utopie, de penser les choses à une échelle plus globale : notamment en terme de répartition du travail et d’organisation des tâches à l’échelle de la société, et également en terme et de valorisation des emplois dont personne ne veut.
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Témoignage de Sarah RITT : Vivre le « slashing »
Pas de présentation rigide ou formaté type PowerPoint car au-delà certainement des nombreuses interventions tout au long de la journée étayées par des Powerpoint ou des références théoriques, souhait de rester sur un mode spontané qui correspond mieux à mon parcours et à ma personnalité. Epargné les participants (cf. dernière intervention de la journée).
Tout d’abord un rappel contextuel : je suis née à la fin des 60… tout à la fin et je suis arrivée au début des années 90 sur le marché du travail, tout au début !
Avant de raconter mon parcours ou les principaux points clefs, j’aimerai revenir sur nos rêves d’enfant. Vous avez certainement tous rêvé quand vous étiez petit de faire tel ou tel métier ? D’être pompier, astronaute, maitresse d’école,… ?
Et bien moi aussi, j’avais des rêves ! Je voulais devenir pilote de chasse !
Et, j’aimerai vous raconter une petite anecdote à ce sujet. Quand, j’étais en classe de 6e, nous avons eu un jour la visite de 2 intervenants, des psychologues. Ils voulaient évaluer l’ensemble des élèves du collège et plus spécifiquement une classe d’âge en mesurant notre QI à l’aide d’une batterie de tests.
Mais avant de rejoindre le réfectoire où nous devions tous nous rassembler, nous étions encore dans la salle de classe, lorsqu’un des 2 intervenants nous demanda quel métier on voulait faire plus tard. Spontanément, j’ai répondu « moi, plus tard, je veux être pilote de chasse ! » A ma grande surprise, leur réaction a été très négative et cassante. « Ce n’est pas possible, ce n’est pas un métier pour les filles ! »
Au-delà même de leur réponse et du contenu de leur réponse, c’est la manière de répondre qui m’a blessée. « C’est n’importe quoi ! ». Par réaction, j’ai boycotté les tests d’évaluation du Quotient intellectuel en ne respectant pas les consignes et je me suis fait plaisir en en choisissant les exercices qui me plaisaient et ce sans respecter le temps bien sur imparti. Mes parents ont dû être déçus du résultat, car assurément, je n’avais pas eu les résultats escomptés et je ne rentrais certainement pas dans la norme : cette fichue norme !
Plus tard, j’ai rêvé d’être médecin humanitaire, puis diplomate, toujours ces rêves de voyages mais aussi au fil du temps d’entrer en relation avec les autres. De découvrir le monde et les autres.
Chemin faisant, j’ai poursuivi mes études. Et une fois mon bac en poche, j’ai hésité entre la fac de psychologie et Sciences Politique. Le hasard ou le destin (à 1 point près), je suis allée à l’université pour étudier la psychologie. Le champ de la psychologie est vaste, je me suis passionnée par cette discipline et me suis formée à différentes approches : expérimentale, sociale, ergonomie, travail, clinique,…. En me spécialisant un peu plus dans le champ de la psychologie du travail et des organisations, j’ai acquis la conviction qu’il était nécessaire d’avoir un autre regard pour mieux comprendre l’individu et son rapport au travail et à l’organisation : un regard du point de vue de l’organisation. J’ai ainsi complété mon parcours par une formation en gestion et management (IAE-EM).
Suivant toujours mes rêves et mes aspirations, il me semblait important de découvrir le monde mais aussi de manière plus pragmatique d’améliorer mon niveau d’anglais. C’est ainsi que j’ai poursuivi mes études aux Etats-Unis par un MBA. Cette expérience fut fabuleuse, elle m’a permis de rencontrer Igor Ansoff, une référence dans le domaine du management, mais surtout, elle m’a permis de découvrir une autre façon d’apprendre. Le système américain valorise les échanges entre pairs, les travaux de groupes. L’autonomie est aussi favorisée sans jamais avoir le sentiment d’être seul, les enseignants étant largement disponibles. J’ai aussi eu le plaisir à cette période-là de partager en colocation mon quotidien avec 3 autres roomates : 1 japonaise, 1 allemande et 1 coréenne. A leur contact, j’ai appris plus sur l’être humain, sur ce qui nous rapproche ou nous fait peur qu’en plusieurs mois à l’Université.
J’ai toujours travaillé en parallèle de mes études, sauf aux Etats-Unis, bien que l’occasion se soit présentée. Mais les missions ne me paraissaient pas pertinentes compte-tenu de mes objectifs principaux (mes études et l’apprentissage de la langue). J’ai ainsi en France (et en Allemagne) travaillé comme : Caissière en hypermarché, vendeuse en magasin, commerciale en porte à porte, secrétaire médicale, équipière chez quick, surveillant de baignade, enquêtrice pour divers société, surveillante d’internat, conseillère formation à l’université, ….. : Ces métiers m’ont permis de découvrir une diversité d’environnement de travail et m’ont convaincu de poursuivre mes études et consolidé le choix de mes études. Déjà à cette époque, il m’est arrivé de mener de front plusieurs activités professionnelles. Pluriactivités bien nécessaire pour me permettre d’assurer mon quotidien. Mais à l’époque, on ne parlait pas encore de slashing !
Que signifie ce mot barbare ? Le slash est le symbole typographique « / » utilisé sur nos claviers d’ordinateurs. C’est une barre oblique qui permet d’indiquer 2 notions différentes ou de les réunir « et/ou ». Le slashing désigne le fait de cumuler plusieurs emplois.
Forte de ces expériences professionnelles et de ce bagage universitaire, je me suis finalement orientée vers « les ressources humaines ». Recrutement – formation, j’ai exercé dans le secteur industriel et dans le secteur de l’Intérim. J’avais finalement trouvé un travail qui me plaisait et à côté de chez moi. Chaque jour, je réalisais des missions variées et régulièrement, je me rendais en Allemagne pour suivre les intérimaires ou faire le point avec les entreprises clientes. Je pensais que mon chemin était tout tracé. C’était sans compter sur le hasard !
Suite à un concours de circonstance, je me suis retrouvée du jour au lendemain licenciée. Le choc fut rude et la remise en question importante. Mais le destin m’a fait un appel du pied ! Le secteur aéronautique était dans une période faste et recrutait. Dépitée par ma mésaventure, je n’avais plus rien à perdre et besoin peut-être de me prouver que je valais encore quelque chose. Et j’ai entendu cet appel lointain, mes rêves d’enfants « voler en avion, voyager ». J’ai sauté le cap et passé les tests avec succès et me voilà hôtesse de l’air ou comme on dit « Personnel navigant commercial ». De belles années à voyager à travers le monde et finalement à réaliser un rêve de gosse.
J’ai aimé ce métier et l’imprévu de mon quotidien, mais mes absences étaient à la longue difficilement compatibles avec une vie de famille. Jeune mariée à l’époque, j’ai décidé au bout de quelques années de me rediriger vers un métier plus sédentaire. L’envie aussi peut-être de développer d’autres compétences, de « mettre à l’épreuve mes diplômes » ?
Assez rapidement, j’ai retrouvé un poste en tant que chargée de recrutement, mais à nouveau le hasard s’en est mêlé, car à peine embauchée, j’ai quitté mon poste et la région pour me suivre mon mari qui avait eu une proposition professionnelle intéressante dans la région Rhône-Alpes.
Arrivée sur la région, j’ai souhaité faire un bilan de compétences pour faire le point sur mon parcours professionnel. Je n’ai pas eu les réponses espérées à savoir vers quel métier m’orienter mais ce temps de réflexion m’a fait prendre conscience que j’avais des compétences, que j’ai exercé différents métiers et que je pourrai encore en découvrir d’autres. Ce que j’ai fait !
J’ai mis à profit mes études en psychologie et fait du conseil, de l’accompagnement, puis j’ai évolué sur un poste de coordination de service dans le secteur sanitaire et social et là j’ai commencé à travailler en mode slashing.
« Slashing au sein d’un même métier » avec des missions en tant que coordonnatrice de plus en plus diversifiées (formation, management d’équipe, commercial, suivi administratif, …).
Slashing interne avec 2 métiers au sein de la même entreprise : Toujours Coordonnatrice du service Santé Social mais en même temps, Chargée de communication pour l’ensemble de la structure.
Puis ce poste de Chargée de communication à lui-même évolué du fait du contexte socio-économique en 3 activités. Chaque activité correspondant chacune à un métier différent : Chargée de l’évènementiel, Community Manager (gestion des réseaux sociaux) et Assistante de formation. Un vrai couteau suisse ! Et les moyens n’étant pas toujours à la hauteur des objectifs demandés, il me fallait souvent endosser le costume de Mac Gyver pour trouver des solutions aux problèmes posés.
Pression économique, environnement incertain, …. A un moment, la charge s’est avérée plus importante, trop importante. Et malgré mes tentatives pour dire stop, je n’ai pas été entendue et ce fut l’accident !
Accident, le corps a parlé et a dit stop ! J’ai frôlé le burn out et je me suis retrouvée la jambe dans le plâtre et immobilisée pendant plusieurs mois. L’occasion de revenir à mes fondamentaux. Qu’est-ce qui m’anime, quelles sont mes limites ? Décision de reprendre la main sur mon parcours professionnel qui semblait m’échapper. A la faveur de mon repos forcé, j’ai mis à profit ce temps de réflexion pour prendre du recul et redonner du sens à mon parcours professionnel.
Aujourd’hui, je suis en mode Slashing IN/OUT : j’ai diminué mon activité en tant que chargée de communication (et je suis en cours de réflexion sur mes différentes activités en tant que salariée) et en parallèle, je me suis mise à mon compte en tant que Psychologue.
Cette seconde activité me permet de travailler différemment, tantôt de la maison, tantôt dans les entreprises. Je me fais plaisir et j’ai le sentiment de retrouver du sens à ce que je fais. J’ai le sentiment de m’être réapproprié le cours de ma vie, de pouvoir choisir mes priorités, mon rythme de travail. Certes, j’ai de nouvelles responsabilités et d’autres angoisses, mais avec le sentiment d’être maître de mon destin et de ne plus le subir.
Demain, reste une opportunité !
Conclusion :
Le slashing n’est pas nouveau en tant que tel mais c’est le terme slashing qui met à la une ce mode de fonctionnement. Pour ma part, ce ne fut pas d’emblée un choix mais c’est les circonstances qui m’ont au départ amené à cumuler des petits boulots. Puis l’évolution de mon métier, l’évolution de ma place dans l’entreprise m’a contraint à « slasher mes activités ».
Et, c’est devenu un choix ! Un choix qui repose sur une prise de conscience de mes compétences et la volonté de ne pas vouloir rester enfermée dans un moule donné. Un choix qui affirme que je ne suis pas réduite à un statut social ou à un métier, mais que je suis une personne riche de multiples compétences et habilités.
Une image pour décrire la slasheuse que je suis serait le rubiks cube : « une personne aux multiples facettes ». Chacun est riche de différentes couleurs, de différentes compétences et ces éléments se croisent, se tournent se mélangent pour donner tantôt une face unie bleue, blanche ou jaune.
Cela demande une certaine autonomie, de l’organisation, une capacité d’adaptation, une prise de risque parfois. Mais procure une certaine liberté.
Souvent, les slasheurs exercent un métier « plus alimentaire » et en parallèle un métier ou une activité liée à leur passion, leur hobbie…leur rêve. Aujourd’hui à ma manière, c’est un peu cela : j’ai un métier en tant que salariée dans une entreprise, avec la sécurité (toute relative) d’un CDI et un métier plus incertain mais qui me passionne et en lien avec mes rêves d’enfants et mes aspirations de jeune diplômée (…mes dernières études en psychologie sont sur les pilotes)
Fais de ta vie un rêve, et d’un rêve une réalité : Antoine de St Exupéry
Quel temps pour votre famille
Je travaille plus qu’avant mais différemment. Je prends soin de moi pour pouvoir mieux prendre soin des autres. Pour l’entreprise, j’ai des heures à faire, mais je remplis ma mission et sais renoncer à des sollicitations. Pour mon activité personnelle, je me mets des limites de temps, bien que cela tourne sans cesse dans ma tête. Je m’oblige à m’arrêter pour garder des activités familiales.
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Prendre du recul, une approche biblique
avec Hélène Barbarin : termine son mastère de théologie pratique pour devenir pasteur
Je suis Hélène Barbarin, actuellement étudiante en dernière année de master en théologie (filière théologie appliquée, ie année de professionnalisation en vue du ministère pastoral). J’effectue mon stage ici sur la paroisse d’Oullins.
Denis Costil m’a sollicitée pour apporter un témoignage concernant mon changement d’orientation professionnelle, mais il s’agissait aussi, aujourd’hui, de travailler un éclairage biblique. Je vais donc essayer de vous présenter rapidement mon parcours, et surtout les réflexions qui s’y rapportent, puis vous commenter rapidement quelques passages bibliques qui m’ont accompagnée dans ce parcours.
Témoignage :
– Mariée, 2 enfants étudiants, origine catholique
– Formation initiale d’ingénieur (Ecole Centrale Paris), une année sabbatique dans une entreprise d’insertion, divers postes chez Michelin : management de production, qualité, laboratoire de métrologie, management « transverse » : leader monde d’un métier (animation réseau d’experts, lien avec les autres métiers, expertises, méthodologies, formations et parcours…)
– Changement d’orientation professionnelle à 45 ans :
o Un appel qui s’est déployé et précisé au fil du temps
o Des prises de conscience « facilitées » ou « provoquées » par des moments difficiles sur le plan professionnel. Ce n’est pas l’engagement professionnel en soi qui posait problème : il était plutôt satisfaisant sur plusieurs points (activités, autonomie, relationnels…), et bien sûr on peut déployer ses convictions chrétiennes dans le travail. Mais lorsque des moments difficiles arrivent, et c’est normal, certaines choses se font jour.
o Un discernement multifactoriel : relecture engagements ecclésiaux, relecture parcours professionnel (quels types de postes je cherchais et pourquoi, quelle posture j’y adoptais) … le tout accompagné et soutenu par une vie de prière et des échanges en famille. Ceci m’a conduite d’abord à rejoindre l’EPUdF, puis à entreprendre des études de théologie. Bien sûr, cela n’aurait pas été possible sans un soutien familial au sens fort (moral et matériel)
J’ai découvert que j’avais une posture « pastorale » dans les postes et fonctions
« Où est ton trésor, là aussi sera ton cœur » : le signe qui marque ce qui est mon trésor, c’est de savoir où est mon cœur. Je pensais à mes engagements ecclésiaux pendant mes heures de travail, mais je ne pensais pas à ma profession pendant mes activités ecclésiales.
Eléments bibliques qui m’ont accompagnée :
2 Co 12, 9-10
9 Mais il m’a déclaré : « Ma grâce te suffit ; ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse. » Aussi mettrai-je ma fierté bien plutôt dans mes faiblesses, afin que repose sur moi la puissance du Christ.
10 Donc je me complais dans les faiblesses, les insultes, les contraintes, les persécutions, et les angoisses pour Christ ! Car lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort.
– Une faiblesse assumée inhibe les arguments des forts. Ex : responsable hiérarchique de profil « harceleur ». Comment lutter ? A un moment, je décide de faire ce que j’ai à faire, en désobéissant si nécessaire, et je suis prête à en assumer les conséquences. Résultat : le chef est totalement déstabilisé, son fonctionnement habituel (régner par la terreur) n’a pas de prise sur moi. Et finalement, même si ça reste compliqué de travailler avec lui, je ne le vis pas mal. Et plus : je n’ai pas d’ennuis majeurs, contrairement aux menaces qu’il proférait.
– Je mettrai ma fierté dans ma faiblesse : subversion des « valeurs » promues dans le monde du travail, en particulier pour les cadres. Et si la performance ne venait pas de là ou on pense ? Si elle n’était pas tirée d’un effort surhumain pour être fort, mais au contraire si elle venait de la liberté que donne une faiblesse assumée ?
– Ma grâce te suffit : pose la question de la confiance. Dans un monde aussi mouvant, que peut me dire cette Parole : ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse ? Pour moi, cela a été un appel au lâcher prise, à la liberté de privilégier la fidélité à moi-même face à l’incertitude voire l’insécurité du monde professionnel. Un appel à me poser et à rechercher ma « vraie » vocation, dans la confiance.
Es 43, 1-4
1 Mais maintenant, ainsi parle le SEIGNEUR qui t’a créé, Jacob, qui t’a formé, Israël : Ne crains pas, car je t’ai racheté, je t’ai appelé par ton nom, tu es à moi.
2 Si tu passes à travers les eaux, je serai avec toi, à travers les fleuves, ils ne te submergeront pas. Si tu marches au milieu du feu, tu ne seras pas brûlé, et la flamme ne te calcinera plus en plein milieu,
3 car moi, le SEIGNEUR, je suis ton Dieu, le Saint d’Israël, ton Sauveur. J’ai donné l’Egypte en rançon pour toi, la Nubie et Séva en échange de toi
4 du fait que tu vaux cher à mes yeux, que tu as du poids et que moi je t’aime ;
Quel est mon nom ?
o Celui qui me permet, quand je l’habite, de traverser les fleuves sans être submergée, de ne pas me « consumer », bref, de ne pas sombrer et de pouvoir traverser les épreuves (épreuves de la vie, mais aussi épreuves infligées à ce « nom »).
o Celui qui résiste à tous les autres noms que d’autres cherchent à m’imposer : une fonction, un « profil », une « évaluation », un déni parfois… (cf aussi Jr 1, 4-6 où Jérémie entend son nom « dès avant le ventre de ta mère…j’ai fait de toi un prophète pour les nations », mais objecte avec une vision de lui-même qu’il intégrée de son entourage, de son contexte « je ne sais pas parler, je suis trop jeune »)
o Celui qui est le fruit d’un long discernement : quelles circonstances, quels lieux, quelles postures coïncident avec un sentiment « d’ajustement », c’est-à-dire des moments où se dégage pour moi une cohérence interne et externe qui font que les épreuves se surmontent et les obstacles s’aplanissent ? Ces lieux sont ceux où je découvre mon « nom ». Reste à devenir ce que je suis.
Conclusion :
Trouver sa place dans un monde mouvant est complexe, parfois anxiogène. Beaucoup de choses peuvent aider à y faire face (formations…). Mais le cœur à mon sens est de chercher la fidélité à soi-même : pour maintenir ensemble une capacité d’adaptation et un sens (donné et reçu) à ma vie, c’est cette constante recherche de mon « nom », qui est le lieu de la confiance en la vie, lieu où la faiblesse assumée devient force.
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Prendre du recul, une approche biblique
avec Pierre Olivier DOLINO : Pasteur de l’Eglise protestante unie de France, détaché à la Mission populaire, il est en poste à la Belle-de-Mai à Marseille.
Mon témoignage : la MIRLY a bouleversé ma vie !
Ma foi a commencé ici à Oullins où je venais au cathé. Un stagiaire pasteur Andréas est venu nous interpeller pendant en week end en nous demandant d’aller prier. J’ai alors lancé un défi à Dieu pour qu’il me fasse un signe. Je n’ai rien perçu.
Andreas était engagé au Chemin Neuf et j’y ai cheminé plusieurs années dans ce milieu œcuménique, en fait nous étions les deux seuls protestants. La voix familiale qui me poussait à devenir ingénieur ne me convenait pas. Je voulais un métier où je serai très libre et ouvert. Je cherchais une diversité d’âge, de milieux sociaux, une mobilité, une diversité de missions. Un matin, je me suis réveillé avec cette idée de devenir pasteur.
J’ai alors fait des études de théologie. Pendant mes études, Je rencontre Georges Lhermann, membre de la Commission des ministères qui me parle de la Mission Populaire et de la Mirly.
Je participe alors aux rencontres de l’Épervière. Guy Botinelli et Didier Crouzet concilient social, monde du travail et théologie !
Denis Costil et Jacques Walter me disent que je suis trop jeune pour le poste de la Duchère. Je pars à la Mission Populaire à Paris avec un travail de directeur de centre social. Dix ans plus tard je reviens à la Duchère ….
En 2015, lors d’une rencontre MIRLY sur le thème du partage du travail, nous discutions du bilan des 35h et nous interrogions sur les 32h ?! Baptiste Mylondo du Mouvement de la décroissance qui prônait l’arrêt du travail ! Je fais alors le choix de passer à 90 % annualisé, c’est-à-dire 4,5 semaines de congés supplémentaires. – ça m’a sauvé !
Bref, faire ce bilan m’a permis de m’apercevoir combien je suis redevable à la MIRLY !!
Evolution du sens du travail dans l’histoire (cf. le mémoire de Françoise MESY Le sens du travail en France au début de XXIe siècle)
Je voulais revenir sur l’histoire du travail qu’a évoqué Patrick Louis. Notre pensée du travail vient de la pensée grecque avec l’idéal de l’homme libre qui a du temps pour penser la cité (Otium). Le contraire du travail considéré comme une marchandise (Neg Otium, négoce). la méfiance antique vis-à-vis des marchands en est issue
Le christianisme valorise plus la contemplation que le travail (le moine). Il a fallu attendre le protestantisme pour que l’engagement dans le travail soit valorisé. Pour Luther, Beruff est une vocation, avec pour but de se réaliser dans et par son travail. S’ouvre alors la tension historique entre travail aliénation et / ou travail émancipation.
Il reste un débat sur l’étymologie du mot travail. Elle est généralement liée à la torture et/ou la souffrance : tripálĭus qui désigne dès le 1er siècle un instrument de torture à trois poutres, et qui a donné (XIIe siècle) en ancien français le mot travail dans le sens de « tourment, souffrance ».
Certains remettent en cause cette étymologie – liée à la torture – et rapprochent le mot travail du latin trabs qui signifie « poutre » et qui a généré entraver. La notion de souffrance reste. On la décèle dans beaucoup d’emplois du mot travail dès son apparition au XIIème siècle. Il exprimerait ce que ressent l’animal quand on l’entrave (on immobilisait les animaux afin de soigner une blessure ou de les ferrer, par exemple).
Il est probable que le mot désignait, à la base, un instrument servant à ferrer de force les chevaux rétifs. Puis par extension, un instrument d’immobilisation et de torture à trois pieux utilisé par les Romains pour punir les esclaves rebelles.
Quoi qu’il en soit, le mot travail désigne donc, l’effort nécessaire pour faire quelque chose.
Dans ce sens on dit d’une femme qui est en train d’accoucher qu’elle est « en travail ».
C’est donc à la fois un effort où l’on peut s’épuiser et dont on peut souffrir mais qui permet aussi un résultat « positif ». Et non pas, comme pourrait le laisser penser la notion de torture, une peine pour rien….
Le travail est donc toujours une question d’effort. Ainsi en physique, le travail d’une force est l’énergie fournie par cette force lorsque son point d’application se déplace. Le travail est donc toujours une fonction de l’énergie qu’on y met !
On retrouve également cette notion d’effort, mais aussi de fatigue ou de peine, dans l’équivalent latin labor, qui a donné l’adjectif laborieux.
De manière plus positive cette fois, le terme d’Emploi : issu du latin plicare signifie « tresser » et à donner implicare qui signifie « im-pliquer ». Avoir un emploi c’est être impliqué dans ce que l’on fait mais aussi dans la société. Avoir un emploi, ce n’est pas seulement recevoir un salaire, mais aussi être inscrit dans un réseau social.
Par opposition, le mot Chômage, vient du grec kauma "chaleur brûlante" et a donné en latin caumare "se reposer pendant la chaleur". On retrouve cette notion dans le mot « chômer » et dans le mot « calme » - Mais pas avec l’idée d’une tranquillité paisible, mais plutôt, en terme marin : l’étouffante immobilité due à l’absence de vent qui prive le matelot d’activité. Sans aucun lien étymologique mais par assonance : caler ! Ne plus pouvoir bouger …
On connaît en effet les ravages que peut causer une période de chômage subi pendant trop longtemps…. Notamment en termes de « dé-sociabilisation »
J’espère que ce petit excursus historique et sémantique nous aura ouvert l’esprit à la multiplicité des sens que peut recourir le mot travail. Et à la tension qu’il y a dans le travail, entre sa dimension aliénante et émancipatrice.
Allons voir maintenant ce qu’en dit la Bible !
Quel sens a cette intervention biblique – théologique, dans une rencontre comme celle-là ?
Ce n’est pas dire la vérité ! Mais c’est réflexion culturelle : la théologie – en tant que dialogue sur ce que l’on sait, ou ce que l’on peut dire de Dieu ou sur Dieu - est une discipline universitaire comme les autres, qui entre en dialogue avec les autres disciplines, notamment les sciences humaines : la philosophie, la psychologie, l’histoire… Elle peut éclairer comme d’autres disciplines notre travail et notre réflexion.
Lecture partagée de Gen. 2, 1-18 et Gen 3 3-19 :
Ainsi furent achevés le ciel, la terre et tout ce qu’ils contiennent. Dieu, après avoir achevé son œuvre, se reposa le septième jour de tout son travail. Il fit de ce septième jour un jour béni, un jour qui lui est réservé, car il s’y reposa de tout son travail de Créateur. Voilà l’histoire de la création du ciel et de la terre.
Quand le Seigneur Dieu fit la terre et le ciel, il n’y avait encore aucun buisson sur la terre, et aucune herbe n’avait encore germé, car le Seigneur Dieu n’avait pas encore envoyé de pluie sur la terre, et il n’y avait pas d’êtres humains pour cultiver le sol. Seule une sorte de source jaillissait de la terre et arrosait la surface du sol.
Le Seigneur Dieu prit de la poussière du sol et en façonna un être humain. Puis il lui insuffla dans les narines le souffle de vie, et cet être humain devint vivant. Ensuite le Seigneur Dieu planta un jardin au pays d’Éden, là-bas vers l’est, pour y mettre l’être humain qu’il avait façonné. Il fit pousser du sol toutes sortes d’arbres à l’aspect agréable et aux fruits délicieux. Il mit au centre du jardin l’arbre de la vie, et l’arbre qui donne la connaissance de ce qui est bon ou mauvais. Un fleuve prenait sa source au pays d’Éden et irriguait le jardin. De là, il se divisait en quatre bras. Le premier était le Pichon ; il fait le tour du pays de Havila. Dans ce pays, on trouve de l’or, un or de qualité, ainsi que la résine parfumée de bdellium et la pierre précieuse de cornaline. Le second bras du fleuve était le Guihon, qui fait le tour du pays de Kouch. Le troisième était le Tigre, qui coule à l’est de la ville d’Assour. Enfin le quatrième était l’Euphrate.
Le Seigneur Dieu prit l’homme et l’établit dans le jardin d’Éden pour le cultiver et le garder. Il lui fit cette recommandation : « Tu peux manger les fruits de n’importe quel arbre du jardin, sauf de l’arbre qui donne la connaissance de ce qui est bon ou mauvais. Le jour où tu en mangeras, tu mourras. »
Le Seigneur Dieu se dit : « Il n’est pas bon que l’être humain soit seul. Je vais le secourir en lui faisant une sorte de partenaire. »
Le Seigneur Dieu appela l’homme et lui demanda : « Où es-tu ? ». L’homme répondit : « Je t’ai entendu dans le jardin. J’ai eu peur, car je suis nu, et je me suis caché. » –
« Qui t’a appris que tu étais nu, demanda le Seigneur Dieu ; aurais-tu goûté au fruit que je t’avais défendu de manger ? » L’homme répliqua : « C’est la femme que tu m’as donnée pour compagne ; c’est elle qui m’a donné ce fruit, et j’en ai mangé. »
Le Seigneur Dieu dit alors à la femme : « Pourquoi as-tu fait cela ? » Elle répondit : « Le serpent m’a trompée, et j’ai mangé du fruit. »
Alors le Seigneur Dieu dit au serpent : « Puisque tu as fait cela, je te maudis. Seul de tous les animaux tu devras ramper sur ton ventre et manger de la poussière tous les jours de ta vie.
Je mettrai l’hostilité entre la femme et toi, entre sa descendance et la tienne. La sienne t’écrasera la tête, tandis que tu la mordras au talon. »
Le Seigneur dit ensuite à la femme : « Je rendrai tes grossesses pénibles, tu souffriras pour mettre au monde tes enfants. Tu te sentiras attirée par ton mari, mais il dominera sur toi. »
Il dit enfin à l’homme : « Tu as écouté la suggestion de ta femme et tu as mangé le fruit que je t’avais défendu. Eh bien, par ta faute, le sol est maintenant maudit. Tu auras beaucoup de peine à en tirer ta nourriture pendant toute ta vie ; il produira pour toi épines et chardons.
Tu devras manger ce qui pousse dans les champs, tu gagneras ton pain à la sueur de ton front, jusqu’à ce que tu retournes à la terre dont tu as été tiré. Car tu es fait de poussière, et tu retourneras à la poussière. »
Comment est décrit le travail de l’homme et de Dieu dans ce texte ? Quels mots sont utilisés ?
Plusieurs mots hébreux utilisés dans le texte, sont traduits en français par le même mot« travail ». On y retrouve nos deux registres de sens :
– La vocation :
Asah = faire ; L’homme est fait à l’image de Dieu le Créateur : il FAIT – même mot. Le travail = un acte de création.
Mela'kah = œuvrer, dans le sens de réaliser un objet ; lors du shabbat il est interdit « d’œuvrer ».
Abad = cultiver, servir (dans le sens « d’être soumis à », même racine qu’esclave cf. les Hébreux en Égypte). L’humain est donc au service de la terre, soumis à elle, et non son propriétaire chargé de la dominer et de l’exploiter...
- L’aliénation ou la souffrance :
Yatsar = créer, former comme un potier, forger par pression ; de la racine YATSAR = tourmenter, être à l’étroit
Itstsabown = peine ou souffrance ; vient de la racine ATSAB = faire mal, causer de la souffrance. Cf aussi Genèse 5,29 : « Il lui donna le nom de Noé, en disant : Celui-ci nous consolera de nos fatigues et du travail (’Itstsabown) pénible de nos mains, provenant de cette terre que l’Eternel a maudite. »
Conclusion : Travailler c’est à la fois une aliénation et une émancipation, et toujours un effort !
J’ai la chance de faire un travail vocationnel, je le ferais même sans salaire !
La vocation : pour moi travailler c’est répondre à un appel d’un autre et non pas se réaliser soi-même par son travail.
Le chemin est étroit entre aliénation et émancipation. La vocation est un appel qui ne vient pas de nous. Mais il peut conduire à sa propre aliénation, vouloir se sauver par soi-même au point de se sacrifier. C’est plutôt une confiance en l’Autre, en Dieu qui nous appelle.
L’Humain n’est pas fait pour le travail mais le travail pour l’humain – il est donc nécessaire d’adapter non pas l’humain au travail mais le travail à l’humain pour lui donner les moyens d’exister (conditions de travail, revenu décent...) et lui permettre de se réaliser.
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Il y une prétention à vouloir maîtriser la connaissance qui dit si ce que je fais est bien ou mal. C’est notre fantasme. Ces effets de mes actions sont mal maîtrisés dans tous leurs effets. Sinon, c’est la dérive totalitaire des parents qui savent ce qui est bien pour leurs enfants : élever ses enfants n’est pas simple ! Un dictateur sait ce qui est bien pour son peuple.
Le mari dominera sur toi.
Il y a beaucoup à dire. Il convient de remettre le texte dans son contexte. Il cherche à donner du sens à la souffrance de l’accouchement. On peut le voir comme une punition. Mais l’autre texte de la création dit qu’homme et femme sont face à face, pas dessus dessous ! Le face à face est résistance. La femme ne se tait pas comme se taisent les animaux. Elle oblige au face à face. C’est plutôt une interpellation qu’une affirmation.
Que signifie posture de pasteure en entreprise ?
C’est l’envie d’être dans l’accompagnement, l’écoute avec une dimension chrétienne importante. Plutôt un constat. C’est chercher du sens et faire grandir chacun à sa manière.
Nous prive-t-on de quelque chose qu’on aurait pu avoir ?
Non, c’est une limite, pas une chose qui nous a été enlevée. Nous voulons qu’à la Mission populaire l’accueil soit inconditionnel. Mais cela ne peut être vrai, il y a plein de limites matérielles.
Il y a des difficultés dans le monde du travail mais nous allons nous organiser pour réduire la souffrance et en faire plus dans des limites humaines.
Il faut lire les livres de Lytta Basset .
L’arbre de la connaissance et l’arbre de vie sont tous les deux au milieu du jardin. Ne serainet-ce pas le même ? L’homme doit renoncer à son rêve de toute puissance. dans le monde du travail, ce n’est pas gagné !
Une histoire d’Anne Kovalevsky : Adam et Eve
Quand la terre était jeune, Dieu a créé l’homme et la femme, il les a appelé Adam et Eve. Il leur a insufflé la vie et leur a donné un immense jardin.
Adam et Eve profitaient de leur jardin, mais les choses n’étaient pas si simples. Car Dieu, en créant Adam et Eve, les avait créés de force égale, et les avait dotés d’un sacré tempérament, du coup, les discussions étaient nombreuses.. Et comme il n’y en avait pas un qui soit plus fort que l’autre, et bien aucun des deux n’avait jamais le dessus.
Un jour Adam décida que cela suffisait et il décida d’aller voir Dieu. Dieu en ce temps là habitait encore au sommet du grand chêne, au détour du chemin. Adam se mit en route, escalada le grand chêne et frappa à la porte de dieu. Il entra et salua, Seigneur dieu, créateur du ciel et de la terre, que ton nom soit béni..
Dieu regarda Adam et lui dit, toi, pour être aussi aimable, tu as besoin de quelque chose… Parle mon fils, je t’écoute.
Adam exposa alors ses doléances, il aurait bien aimé que dieu lui donne un peu plus de carrure, une taille un peu plus élancée, bref que dieu fasse que lui Adam soit incontestablement plus fort que Eve. Et dieu a écouté le souhait de Adam et l’a exaucé…
Adam est rentré chez lui, 10 centimètres plus grand, nettement plus fort. En arrivant chez lui il demanda à Eve de faire la soupe, et évidement Eve lui dit d’aller se la faire cuire lui-même… « Ah ! C’est comme ça ! Tu vas voir qui commande ici ! » Et Adam a attrapé Eve par les cheveux, l’a tiré dans la cour. Lui a posé le pied entre les deux omoplates et lui a dit : « Maintenant, femme, tu vas savoir qui commande ici ! »
Ce soir là, Eve a fait la soupe, et quand son homme fut rassasié, elle lui demanda d’où lui venait cette force nouvelle… « C’est Dieu qui me l’a donné.. »
En entendant cela, Eve partit aussitôt en direction du grand chêne, elle escalada et entra sans même frapper. « Dieu, tu dois reprendre sa force à Adam ! »
« Ah non ! Ce que Dieu a donné, Dieu ne le reprend pas… »
En entendant cette réponse qui ne la satisfaisait pas du tout, Eve est repartie et est redescendue le long du grand chêne. Elle était tellement en colère, qu’elle ne s’aperçut même pas qu’elle était arrivée et elle continua à descendre. C’est ainsi qu’elle arriva chez vieil oncle le diable. En la voyant, le diable sourit et lui dit : »Tu as l’air bien en colère Eve, que se passe t il ? » « Ce qui se passe ? Il y a que Dieu a donné de la force à Adam, et qu’il refuse de la reprendre, et du coup, moi, je ne peux plus rien dire, plus rien faire.. »
Le diable dit alors à Eve de remonter chez Dieu et de lui demander fort aimablement le trousseau de clef qui se trouvait accroché à sa cheminée. Une fois qu’elle aurait les clefs, elle n’aurait qu’à revenir le voir et il lui expliquerait comment s’en servir.
Eve est remonté jusque chez Dieu. Elle a frappé, salué fort aimablement »Seigneur Dieu, créateur du ciel et de la terre, que ton nom soit béni ! » Dieu sourit : »Toi tu as besoin de quelque chose, que veux tu ? » Eve montra le trousseau de clefs sur la cheminée, et Dieu le lui donna.
Aussitôt Eve retourna chez le diable. Voici ce qu’il lui dit :
« La première des clefs, c’est la clef de la cuisine, et tu sais comme l’homme aime bien manger…
La seconde des clefs, c’est la clef du lit, et tu sais comme l’homme aime à se coucher auprès de sa femme après une rude journée de labeur…
La troisième des clefs, c’est la clef du berceau, et tu sais comme l’homme est fier de sa progéniture…
A toi d’en faire bon usage. »
Eve remercia, remonta et rentra chez elle. Aussitôt arrivée, cri-crac, cric crac, cric crac, elle ferma les trois portes. La cuisine, le lit, et le berceau. Puis elle s’installa sur le pas de la porte et se mit à chantonner…
Adam arriva quelque temps plus tard, il était de charmante humeur. Sa force nouvelle le remplissait de joie. Voyant Eve chantonner, Adam s’est dit que ce soir il ferait à manger. Il se dirigea donc vers la cuisine, mais la porte était fermée… »Qui a fermé la porte ? » « C’est moi » répondit Eve.
Adam, décidément de très bonne humeur se dit que ça n’était pas grave, et « qui dort dîne » il est parti se coucher. Mais la porte de la chambre était fermée… »Qui a fermé la porte ? » « C’est moi » répondit Eve.
Adam voulu aller voir le berceau de ses futurs enfants, mais la porte était fermée… »Qui a fermé la porte ? » « C’est moi » répondit Eve.
« Et qui t’a donné la clef ? « « C’est Dieu ! »
En entendant ça, Adam, furieux, s’est précipité vers le grand chêne et grimpa. Il entra sans frapper et dit « Dieu, tu dois reprendre les clefs à Eve ! « « Et non, ce que Dieu a donné, Dieu ne le reprend pas… »
« Mais comment je vais faire ? Elle a fermé toutes les portes ! »
« Il va falloir enrichir ton vocabulaire… négociation, négociation…. »
Et les choses sont ainsi depuis la nuit des temps.. L’homme est fort au dehors, mais faible au-dedans, et la femme est faible au dehors, mais tellement forte au-dedans…
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