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Article publié

Anthropocène ou Capitalocène ?

Exposé de Jacques-Frédéric Josserand

lundi 11 novembre 2019, par :

Plan :
1. Quelques mots d’introduction
2. Concepts et démarche scientifique
3. Choix de la date et de la terminologie
4. Deux types de solutions proposées
5. Avons-nous les outils ?
6. Conclusion

1. Quelques mots d’introduction
Il y a quelques mois, je lis l’ouvrage de Nathanaël Wallenhorst, « L’Anthropocène décodé pour les humains », (aux éditions Le Pommier – février 2019). Et j’ai un choc. Je découvre la diversité des aspects du dérèglement du système Terre, du dérèglement notre environnement. Je découvre des chiffres sidérants. Et je décide d’en savoir un peu plus. Alors, cet après-midi, dans un temps trop court, alors que je ne suis spécialiste d’aucunes des problématiques de mon exposé, je vais avoir l’audace de vous faire partager mon parcours. Désolé, ce sera un peu dense, instructif je l’espère. A vous d’approfondir, si vous le souhaitez, tel ou point abordé ici trop rapidement, entre autres, grâce aux ouvrages présentés sur la table du libraire.
Nathanaël Wallenhorst est franco-allemand. Il est docteur en Sciences de l’éducation de l’Université Paris 13 et à la Freie Universität de Berlin. Il est maître de conférences à l’Université Catholique de l’Ouest (UCO)
Pourquoi ce titre ? Pourquoi cette démarche ?
En 2020, la Commission Internationale de Stratigraphie, sous-ensemble de l’Union Internationale des Sciences Géologiques (UISG) doit statuer sur le fait que le système Terre quitte l’Holocène (époque actuelle du Quaternaire, soit il y a -11700 ans) pour entrer dans l’Anthropocène.
Bien entendu, nous n’avons pas besoin de cet acte fondateur pour prendre conscience de la gravité de la situation et interpeller nos dirigeants. Ce sont 2 300 000 signatures de la pétition « L’Affaire du Siècle » pour assigner l’Etat, pour non respect des engagements de la cop 21. C’est la grève mondiale pour le climat le WE du 20 au 22/09, avec des manifestations partout dans le monde. C’est le formidable engagement des jeunes, comme à Sydney où ils nous disent : « Vous allez mourir de vieillesse. Je vais mourir du changement climatique. » Sans oublier bien sûr, les discours de la très jeune Greta Thunberg, jusqu’aux Nations Unies.

2. Concepts et démarche scientifique
Quelques mots sur le concept.
Définition d’Anthropocène : du grec anthropos (= être humain) et kainos (=nouveau) , soit une nouvelle époque de l’âge de la Terre, nouvelle époque du à l’impact de l’Homme sur le système Terre. On quitte l’Hallocène débutée il y a 11400 ans, pour entrer dans l’Anthropocène.
L’Anthropocène est une question de stratigraphie. Comment percevoir des traces de l’activité humaine dans les sédiments rocheux, comment dater de façon officielle ce changement d’ère, et ou planter le légendaire « clou d’or » ou point stratotypique mondial (PSM). L’acceptation du concept par le monde scientifique aura des répercussions mondiales. Tous les livres de géographie – ou des Sciences de la Terre – des écoliers du Monde entier enregistreront cette nouvelle terminologie. Tous les médias vont en parler. On devrait enfin faire taire les climatosceptiques.
Les chercheurs ont défini 9 limites fondamentales du système Terre. Le fait de franchir une des limites comme le « changement climatique » ou la « destruction de la biodiversité », nous fait quitter l’Holocène, et entrer en Anthropocène.
1. le changement climatique : c’est le problème de l’accroissement de la température au cours du siècle +2°C ? ou +6 à +7°C ? selon le dernier rapport du GIEC. A +6° seuls 500 000 humains pourraient survivre (soit 1 sur 20). A +3.7° C la chaleur sur la Péninsule Arabique serait telle, qu’aucune ne vie humaine n’y serait possible. L’accroissement de température est dû à l’effet de serre. Le principal marqueur est la concentration de CO2, mesurée en parties par million (ppm). On chiffrait 270 ppm fin du 18ème, 310 ppm en 1950, 379 en 2005, La limite pour éviter le réchauffement est de 350 ppm. Aujourd’hui nous sommes à plus de 400 ppm. Le seuil est franchi, nous sommes entrés en Anthropocène.
2. la destruction de la biodiversité et extinction des espèces vivantes
3. les cycles biogéochimiques (Exemple : le flux de phosphore et d’azote indispensable à l’agriculture car il permet la production de végétaux. Le procédé Haber-Bosch – 1909 – permet aux hommes de créer autant d’engrais qu’ils le souhaitent pour se nourrir. Mais ce fut et c’est sans limite. Le procédé produit aussi du protoxyde d’azote, lequel est un gaz dont l’effet de serre est 300 fois supérieur à celui du CO2.
4. l’acidification des océans
5. la pollution : le 6ème continent de plastiques flottant sur l’océan est égal à 6 fois la surface de la France.
6. l’utilisation de l’eau douce. La limite définie est de 4000 Km3 d’eau, et nous sommes déjà à 2600 Km3 d’eau bleue utilisée par an
7. la déplétion – ou diminution - de l’ozone stratosphérique
8. les chargements des aérosols atmosphériques – ( la concentration des aérosols a doublé depuis 1750)
9. l’usage des sols

3.Choix de date et terminologie
Mais c’est beaucoup plus qu’une question de stratigraphie, ou la chose de quelques centaines de scientifiques. On va le voir avec le problème
(I) de la datation du début de l’Anthropocène,
(II) de la dénomination choisie
(I) A partir de quand doit-on parler d’Anthropocène ? Différentes options étaient sur la table. Le choix final est le 16 juillet 1945, première bombe atomique qui explosa dans le désert du Nouveau-Mexique, avant celles d’Hiroshima et Nagasaki, en Aout 1945.
L’intérêt de ce choix, c’est la trace laissée dans de nombreux sédiments de la planète par les explosions atomiques – bombes de guerre en 1945, puis essais par la suite - jusqu’aux accords internationaux de Moscou en 1963. Symboliquement, ce n’est pas la même chose, si on retient comme date celle des premiers tessons de poterie fabriquée par l’Homme, l’invention de la machine à vapeur fin du 18ème, ou 1945.
L’intérêt de choisir 1945, c’est surtout le début de la « grande accélération » -
Mettons en regard :
A - le développement socio-économique, (voir 12 graphiques page 90 de « L’Anthropocène décodé pour les humains » )
quelques illustrations :
(1) la consommation d’énergie primaire passe de 50 Exajoules en 1900, à 100 en 1950, et à 540 aujourd’hui.
(2) PIB réel du monde passe de 6 Milliards de dollars US en 1950 à 65 milliards de dollars US en 2010
(3) La consommation d’engrais passe de quelques millions de tonnes en 1950 à 170 millions de tonnes en 2010
B- l’évolution du système Terre, (idem page 91)
quelques illustrations :
(4) la diminution de la forêt tropicale en % / - 7% par an en 1850 / -15% en 1950 et -28% aujourd’hui
(5) l’acidification des océans mesurée en concentration d’ion hydrogène par kg qui passe de7.0 en 1950 à 8.3 en 201
(6) la température moyenne de surface passe de -0,4° C en 1900, à 0° C en 1950 et à +0,5° C en 2010
Problème ensuite de la bonne dénomination de cette nouvelle ère.
(II) Nommer la nouvelle ère, c’est nommer les responsabilités :
  Anthropocène signifie que tous les hommes sont responsables – mais examinons la répartition des responsabilités. Qui est l’anthropos de l’Anthropocène, tous les humains ? Dans les années 2000, 45% des personnes les plus pauvres sont à l’origine de 7% du CO2 émis, et 7% les plus riches de 50% du CO2 émis. Aujourd’hui, chaque Américain émet 4.7 tonnes de CO2 par an , chaque Français 1.6 tonne, et chaque Malien ou Tchadien seulement un centième de tonne. Notion de « jour de dépassement » le 29 juillet en 2019.

  Anglocène ? les industriels anglais au début de la révolution industrielle font un choix : apporter l’énergie en appui de la force de l’homme et de l’animal, dans les villes – la vapeur, donc le charbon, donc les réserves fossiles de carbone – plutôt que vers les cours d’eau. C’était un choix politique : il s’agissait de mieux contrôler la main d’œuvre. Ainsi un certain Charles Babbage – mathématicien britannique fin 18ème - - faisait l’éloge des machines à vapeur pour, je cite « cette surveillance qu’elles exercent sur l’inattention, la négligence et la paresse des agents humains ».

Ce choix politique et économique est encore amplifié par des énergies fossiles très bon marché, facile à extraire, à transporter et à stocker, le pétrole et le gaz, comme nous l’explique Jean-Marc Jancovici dans « Le changement climatique expliqué à ma fille »

  Capitalocène ? : on pose la question la question de la responsabilité du modèle de développement capitaliste de nos sociétés. C’est la croyance folle d’un accroissement infini dans un monde fini. Nos politiques n’ont l’œil que sur le taux de croissance du PIB pour résoudre nos problèmes sociaux et environnementaux. Mais nous dit Nathanaël Wallenhorst retenir « Capitalocène », aurait signifier en creux qu’un autre monde était possible. Annick nous le dira tout à l’heure. Observons que de 1800 à 2010, alors que la population mondiale est multipliée par 6.6, le taux de CO2 émis est multiplié par 655.
On voit bien que le choix de la désignation de cette nouvelle ère, et le choix de la date, déterminent un concept politique et engagé.
On a pensé aussi à d’autres appellations comme Thanatocène – capacité à donner la mort de façon massive. Joëlle Zask auteure de « Quand la forêt brule » - aout 2019 – sur le thème des mégafeux, propose « Pyrocène ».

4. Deux types de solutions sont proposées
Nous opposerons deux grands types de solutions :
(A) poursuivre sur notre lancée : les solutions prométhéennes.
(B) changer nos modes de vies
Option A : les solutions prométhéennes, c’est à dire faire confiance aux solutions techniques imaginées par certains hommes, et à la loi du marché, pour réguler et contrôler l’ensemble du système Terre. On parle alors de géo-ingénérie.
Cette recherche illimitée de puissance est fondée sur une transgression, le vol du feu de Zeus par Prométhée. C’est un autre intitulé de chapitre chez Nathanaël Wallenhorst « faut-il rendre à Zeus le feu volé par Prométhée ? ».
« L’hybris (ou l’hubris) n’est plus redoutée, mais accueillie à bras ouverts. « L’homme devient Dieu".
Illustration : des technico-scientifiques ont imaginé de modifier l’atmosphère terrestre en y dispersant du soufre, mais ils n’ont pas pensé à son absorption par les océans, et donc à l’accroissement de leur acidité. Pour l’auteur, ils sont au chevet de la Terre, comme un médecin du 17ème siècle au chevet de son malade…des apprentis sorciers.
On peut aussi citer Alain Prochiantz – neurobiologiste : « Si d’ailleurs nous ne sommes pas en mesure de contrôler à temps les changements climatiques, alors le recours aux OGM sera indispensable pour accélérer un processus d’adaptation génétiques des plantes et des animaux, l’évolution naturelle étant trop longue…. ».
On peut, à la marge, demander aux scientifiques quelques solutions pour accompagner la transition écologique – ne pas rejeter tout progrès au nom de l’écologie, comme Bernard le disait ce matin - mais sous contrôle absolu des citoyens et de leurs représentants
Le système Terre est trop vaste, et trop complexe, pour que notre technicité actuelle permette d’en prendre le contrôle.
Option B, changer de mode de vie :
Après trois siècles d’abondance sur fond de stabilité environnementale, nous abordons une période d’incertitude et de limitation de nos capacités d’action.
Fred Vargas dans son ouvrage « L’humanité en péril, virons de bord toute ! » (Flammarion -mai 2019) réalise un tour d’horizon très complet de tout ce qui va nous manquer : eau potable, minerais et métaux, énergies fossiles etc. avec les dates d’extinction prévisibles avant 2100. « Nous nous sommes bien amusés, et bien goinfrés ». Changeons de comportement, et très vite.
Alors, il nous faut repenser la façon de vivre, de vivre ensemble sous cette contrainte et cette chance.
C’est le mouvement des Colibris lancé en 2006, par et autour de Pierre Rabhi
C’est le mot d’ordre chez les Eclaireurs Unionistes « moins de biens, plus de liens » .
Aurélien Barrau (« La plus grand défi de l’histoire de l’humanité, face à la catastrophe écologique et sociale » - Michel Lafon – mai 2019) nous dit : « Nos choix changeront, si la conduite d’un 4x4 devient un marqueur de délinquance environnementale, plutôt que de réussite sociale »

Mais ce sera très difficile.
Tout d’abord Sébastien Bolher (« Le bug humain – pourquoi notre cerveau nous pousse à détruire la planète et comment l’en empêcher » - Robert Laffont – février 2019) explique que dans notre cerveau, comme chez tous les êtres vivants, nous avons une zone appelée striatum qui fabrique la dopamine, substance qui nous pousse à détruire la planète pour manger, nous reproduire, acquérir du pouvoir, le faire avec un minimum d’effort et glaner le plus possible d’informations sur notre environnement.
Ensuite, nous sommes très contradictoires :
(1) nous voulons que les autres changent de comportement, mais pas nous, « pas dans mon jardin »
(2) nous perdons du temps et de l’énergie pour acquérir des biens, qui devraient nous faire gagner du temps et de l’énergie, bilan bien souvent négatif et délétère pour la Planète.
(3) je consulte 10 fois la météo « montagne » sur mon smartphone, avant une randonnée en montagne, et pleure devant les glaciers qui fondent
Alors, il nous faut repenser la façon du vivre ensemble, du faire ensemble, tous ensemble, sans oublier ceux qui sont déjà et seront les premières victimes. Pour eux l’effondrement est déjà une réalité. Ils sont prêts à braver tous les dangers, et par exemple à risquer de se noyer en Méditerranée, car la vie est devenue impossible dans leurs pays.

Avons-nous les outils ?
  Institutions : se pose la question de la gouvernance du Monde. Le temps de la démocratie représentative est incompatible avec le temps pour gérer le système Terre car il faut se faire réélire dans 5 ans. D’où l’idée d’une Troisième Chambre (portée en France par le philosophe Bruno Latour et par l’historien Pierre Rosanvallon) qui aurait droit de véto sur les décisions des 2 autres chambres, et de l’exécutif, si elles sont contraires à l’intérêt du futur

  Financement : Il faut un plan ambitieux à 25 mds d’€uros par an, pour isoler les passoires thermiques des moins bien logés en France, d’où moins de charges pour eux. Et c’est aussi des milliers de créations d’emplois en perspective.

On peut aussi suivre le projet du Pacte Finance Climat (1000 Mds d’€uros créés par la BCE – planche à billets – pour sauver les banques et relancer l’économie après la crise financière de 2008 – aujourd’hui 90% de cette somme ne sert que la spéculation. Aurélien Barrau demande qu’on dépense des centaines de milliards pour sauver la vie comme on a su en dépenser pour sauver les banques.

  Philosophiques : Nous ne savons pas réagir à la hauteur de la menace. Citons le philosophe Jean-Pierre Dupuy : « Ces menaces …ont pour trait principal qu’elles existent vraiment et sont gravissimes, alors qu’elles ne suscitent aucunement la peur des populations ».
Nous sommes incapables d’imaginer un danger que nous n’avons jamais rencontré.
Seule la peur peut faire bouger les gens. C’est le seul moteur moral qui peut faire prendre conscience de la catastrophe en cours, nous disait récemment Antoine Peillon.

Conclusion,
L’entrée officielle dans une nouvelle ère, l’Anthropocène sera une opportunité pour tous nous sensibiliser et mettre les leaders économiques et politiques face à leurs responsabilités devant l’emballement du dérèglement du système Terre.
La somme des comportements individuels, même les plus vertueux ne suffira pas (30%). Il faut des modifications socio-politiques profondes, des moyens financiers considérables – brûler du capital - et la question est de savoir si nos démocraties sont en capacité d’aborder ce changement.
Une réflexion philosophique nouvelle, une conversion théologique, doivent nous aider à accompagner, à affronter, ces évolutions. Et à en faire le moteur d’un monde plus juste.


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