« Un revenu non pas pour exister mais parce qu’on existe » : cette formule de James MEADE, économiste anglais mort en 1995 résume bien le renversement conceptuel à intégrer si l’on veut réfléchir sainement à la question du Revenu Universel.
Le revenu du travail ou par défaut de celui des multiples aides sociales permettent de vivre ou de survivre et d’exister socialement.
On sait que dans certains cas l’aide sociale procure plus de revenu sécurisant qu’un travail, et l’on a donc inventé la catégorie des « travailleurs pauvres », connue depuis longtemps aux Etats-Unis. Cependant, on (les politiques et les bien-pensants) refuse d’accepter que le travail « coûte cher » à ceux qui s’y risquent au lieu de rester au chômage : déplacements, gardes d’enfants, suppression de tarifs réduits ...etc.. .
Pour compenser l’exclusion du monde du travail, créatrice de pauvreté et de mécontentement (risque de révoltes populaires) les sociétés « modernes » inventent des « amortisseurs sociaux ». Mais ils s’essoufflent avec les « crises » et fracturent les populations entre les « ayant-droits » ...et les autres !
On peut espérer que les décideurs ont aussi en tête, pour penser ces mesures, l’article 25 des Droits de l’homme :
« Toute personne a droit à un niveau de revenu suffisant pour assurer sa santé, son bien être et ceux de sa famille ». Un « droit formel » bien sûr, mais qui reconnaît la « personne » dans son existence même.
Pour moi l’idée d’un revenu « parce qu’on existe » me fait penser, à la fois aux Droits de l’Homme » et à la Grâce de Dieu de la pensée chrétienne.
Ceci parce que la Grâce est comme un cadeau de Dieu offert à toute personne - sans condition et sans contrepartie - (c’est l’idée du RU) du fait même qu’elle existe. Mais cette pensée est tellement incroyablement révolutionnaire qu’elle a eu de la peine à s’installer dans la chrétienté. Luther s’est battu pour la populariser contre l’idée qu’il fallait « payer » pour être quelqu’un devant Dieu. Mais l’idée même de la « grâce » n’est jamais évidente du fait, à mon avis, que l’homme aime bien revendiquer du « gratuit »... mais n’aime pas bien le recevoir : ça l’infantilise, l’ humilie, l’atteint dans sa dignité. (On ne sait peu que 30 à 50 % des personnes ayant droit au RSA ne le demandent pas et que 30% de celles-ci disent ne « pas vouloir dépendre de l’aide sociale ».)
Par ailleurs, la valeur-travail est fortement marquée par le fameux « tu gagneras ton pain à la sueur de ton front » (Genèse 3, 19). Mais avec la Réforme le travail n’est pas une malédiction mais une « vocation », une responsabilité de chacun au service des hommes et de la création. Ainsi l’oisiveté était violemment combattue par Luther et Calvin. On dit souvent que l’éthique protestante à permis l’enrichissement individuel et le développement industriel, même si des facteurs non religieux y ont eu leur part.
Cet enrichissement était à vivre comme un don de Dieu - dont le bénéficiaire devait être reconnaissant – et non comme une preuve de son « élection », souvent pris comme tel pourtant !
Quelle que soit le rôle de la Réforme, la « valeur travail », marquée par le christianisme, est bien présente dans la société où l’on peut constater à la fois des gestes forts de solidarité avec les plus démunis et de fortes réticences face aux versements d’allocations ou d’aides sociales sans contrepartie aux mêmes bénéficiaires
En fait, on a de la peine à se débarrasser de l’idée qu’une aide « ça doit se mériter ».
Or c’est justement le fait de donner un revenu sans contrepartie qui chagrine beaucoup, y compris des chrétiens convaincus de vivre sous le régime de la Grâce de Dieu. C’est comme si cette Grâce ne concernait que la dimension spirituelle sans écho pour la dimension sociale des personnes.
Or dans sa version « de gauche » le RU est un pari fou sur la capacité des personnes à se responsabiliser comme citoyen plus autonome, choisissant son mode de vie, son mode d’engagement dans le travail rémunéré ou dans des actions collectives, économiques, culturelles ou caritatives par exemple. Comme on doute qu’ils soient capables de « reconnaissance » on aimerait qu’il y ait d’office des contreparties.
Dans la version de droite, le RU est plus une simplification administrative qui supprime l’empilement des aides et allocations diverses, au risque d’isoler encore plus la personne, coupée des services sociaux.
Il est vrai que beaucoup de personnes n’ont pas spontanément l’idée de s’investir dans telle ou telle activité, outre pour les démarches obligatoires de tout un chacun. Dans la phase de mise en place du RMI de multiples actions collectives ont été inventées à l’aide de Centres sociaux ou de MJC. Or, elles ont perdu de leur richesse lorsqu’elles sont devenues obligatoires pour tout bénéficiaire ! (le fameux « Contrat d’insertion »)
Pour ma part je souhaiterais que l’inconditionnalité d’une telle mesure (RU) soit préservée avec tous les risques que cela représente.
Mais par ailleurs, je souhaiterais, qu’enfin, un Service civique soit généralisé et obligatoire, par exemple entre16 ans et 25 ans, afin d’ouvrir chacun, chacune, à une meilleure connaissance de la société, locale ou plus lointaine et du vivre ensemble. C’est souvent – pour ne pas dire, toujours – que « l’ailleurs » est déclencheur de « vocation », d’engagement nouveau, qu’il prenne la forme d’un travail salarié ou autre.
NB 1 : Je ne développe pas le nouveau rapport au travail qu’impliquerait une telle mesure. Pour mémoire je rappelle seulement l’article 23 de la déclaration des Droits de l’homme : « Toute personne a droit au travail et au libre choix de son travail » ! Mais c’est un droit formel puisque si j’en suis privé, devant quelle instance puis-je porter plainte ?
NB 2 : Il serait de mauvais goût de chercher dans la Bible des arguments indiscutables en faveur – ou contre – le Revenu universel ! Néanmoins on ne peut pas ne pas penser à des histoires qui éclairent la réflexion, par exemple :
Souvenons-nous que des 10 lépreux guéris par Jésus, un seul a exprimé se reconnaissance (Luc 17, 11-19)
Souvenons-nous de la fameuse parabole de la 11ème heure, souvent reçue comme une injustice notoire alors qu’il s’agissait que chacun ait un « revenu minimum » pour nourrir sa famille cette journée là ! (Matt. 20, 1-16)
Et chacun a en tête la fameuse parole de Paul, souvent citée hors de son contexte et inappropriée pour notre réflexion : « Celui qui ne veut pas travailler ne doit pas aussi manger » ! (2 Thessaloniciens 19)
Robert OLIVIER, le 25 Février 2017