Tous les pays européens doivent, plus que jamais, être en mesure de fournir aux exilés qui se présentent aux frontières d’abord les moyens d’une protection adaptée ainsi que ceux leur permettant de vivre dignement parmi nous. Il ne saurait y avoir le moindre compromis sur ce point. Si nos pays refusent un tel engagement, une nouvelle barbarie nous attend face aux migrations de vaste ampleur qui constituent notre avenir. Pour autant, l’accueil et l’accompagnement des centaines de milliers de désespérés qui cherchent par tous les moyens à fuir la guerre et la faim et qui attendent, en Afrique du Nord ou sur les côtes de la Méditerranée orientale, de pouvoir arriver en Europe ne peuvent continuer à s’organiser de manière chaotique comme c’est le cas actuellement. L’exemple de la « jungle » de Calais illustre jusqu’à la caricature la faillite d’une politique migratoire vouée à l’échec. Si les politiques d’accueil restent ce qu’elles sont en quelques années l’Europe ne sera plus l’Europe. Non pas parce que nous succomberions à une invasion fantasmé mais parce que nous assisterions à l’émergence d’un sentiment exacerbés et violents anti-migrants. Nombreux en sont les signes déjà là. Dans tous les cas, plus nous traitons les exilés comme des objets de l’aide humanitaire sans nous attaquer à la situation qui les a poussés à fuir leur pays, plus ils viendront chercher de l’aide en Europe, au moins jusqu’à ce que les tensions explosives de leur pays d’origine n’explosent de même ici.
L’alternative qui se pose à nous depuis déjà plusieurs années se résume à une improbable fermeture et à une impensable ouverture. D’un côté, ceux qui sont hostiles aux migrants affirment que par nécessité de protéger notre mode de vie, il nous faut bloquer cette humanité errante sur la marge de nos existences. De l’autre tous ceux qui s’indignent, à juste titre, de voir des milliers de victimes mourir sur le chemin de l’exil, déclarent que l’Europe devrait montrer sa solidarité en ouvrant largement ses portes. Ces deux réponses se fondent sur le pire et, en ouvrant l’une et l’autre au paradoxe des conséquences, nous condamnent, à terme, à une irrémédiable culpabilité. S’il faut en finir avec l’indifférence devant le malheur et si l’idée même de l’humain implique la fraternité, cela ne veut pas dire que l’émotion engendrée par la souffrance des exilés s’exonère du temps de la penser pour trouver les moyens effectifs de la supprimer. Trop souvent, sur cette question en particulier, les bons sentiments, dont nous sommes tous pleins, relève d’un emportement sentimentaliste de qui refuse le principe de réalité.
Tous les exilés qui se présentent à nos frontières sont d’abord les révélateurs de ce que nous sommes aussi. Au nom d’une nécessaire humanité, être solidaire et developper la nécessaire protection ce n’est pas, expression de notre incohérence, amener les exilés d’aujourd’hui à ce qu’ils soient sacrifiés demain sur l’autel du marché roi dans le cadre d’une économie débridée et sauvage. Cela n’a aucun sens sachant que ces enfants qui viennent mourir aux portes du monde occidental sont riches de toutes les richesses que nous leur prenons pour mener à bien nos propres vies quotidiennes.
De même cela n’a pas de sens de faire l’éloge de l’accueil en reprochant aux classes populaires de nos pays, aux gens ordinaires, aux gens de peu, aux diminués du social, de questionner cette générosité vis-à-vis des étrangers qui arrivent. C’est quand même eux qui vivent au quotidien les effets de la mondialisation sous forme de précarisation, de chômage et de tous les corollaires lié à l’immigration comme les aléas de la cohabitation, les quartiers difficiles, les déshérences de l’école…. In fine, se sont ces couches populaires de nos pays qui prennent en charge concrètement et quotidiennement l’accueil des migrants. Elles n’ont besoin ni de leçon d’histoire ni de leçon concernant les préjugés et encore moins de leçon de morale pour comprendre que le rejet et la violence doivent être au final évitées. Alors que les couches supérieures et moyennes de nos pays, protégées de fait par un statut social, des revenus, par leurs choix résidentiels et scolaires, ne connaissent pas la complexité du rapport à « l’autre », ce sont nos classes populaires qui construisent, dans l’adversité, seules et sans mode d’emploi, la société multiculturelle tant vantée par certains et si crainte par d’autres. Il n’est pas possible de créer un avenir sans les peuples ni les nations.
Sans désespérer, notre tâche première est d’agir pour nous efforcer de construire une nouvelle « mondialité »1 qui permettra de pouvoir conjuguer « je » avec « nous » et de dire « demain ». Cette « mondialité » ne passe pas par l’exil. Mais au contraire par une vie digne et décente, sans guerres, sans famines ni privations graves, où chacun aura droit à la satisfaction des besoins élémentaires de la vie, à la santé, à l’éducation et bien sûr à la libre circulation. Il y a urgence, sans attendre des états, à réactiver une authentique solidarité mondiale des peuples exploités et des opprimés. Peut-être une telle solidarité globale est-elle une utopie. Mais si nous ne la tentons pas, alors nous serons réellement perdus. Et nous mériterons notre sort car, « en ces jours-là les hommes chercheront la mort, mais ils ne la trouveront point ; et ils désireront mourir, mais la mort s’enfuira d’eux… »2
Pasteur Jean-Paul Nuñez
1 Ce mot a été développé par l’écrivain Edouard Glissant dans ses derniers essais. Si la mondialisation est bien un état de fait de l’évolution de l’économie procèdant d’un nivellement par le bas, la mondialité est au contraire cet état de mise en présence des cultures vécu dans le respect du divers
2 Apocalypse 9:6
PS : A l’origine cet article a été envoyé au journal Réforme. Destiné à sa rubrique « opinions » et envoyé il y a un mois visiblement il n’a pas été jugé assez bon pour contribuer à un débat qui est, depuis longtemps, fermé par des schèmes de pensée mécaniques dont il est « politiquement incorrect » de s’écarter un tant soit peu. Cela n’a guère d’importance, d’autant que nous savons que de toute façon tous ceux qui s’efforcent de contester réellement l’ordre établi (quelqu’en soit ses composantes) ont su pratiquer, depuis fort longtemps toute une série de détours pour exprimer, bon gré mal gré, des opinions bien évidement jugé « incorrectes ».