Le 22 juin 2011, un colloque passionnant sur le sujet « Les libertés et les lois sécuritaires » a été organisé par la Fédération Protestante de France à l’initiative de sa Commission « Éthique et Société ». Quelques citations et idées de ce colloque constitueront le point de départ de cet article.
Le sujet « Liberté Vs Sécurité » est souvent abordé de manière dualiste entre d’une part :
1) Ceux qui préfèrent placer le curseur du côté de la « sécurité » en accordant des moyens plus importants aux outils de surveillance, aux forces de l’ordre, et à la répression qui en découle, considérant que la première des libertés est celle d’être en Sécurité. Dans le colloque « Les libertés et les lois sécuritaires », ce point de vue était incarné par le colonel de Gendarmerie John VENEAU. Il déclarait notamment :
« Ma réflexion autour de ces questions se rend donc aux conclusions que :
- la sécurité est le cadre d’exercice des libertés,
- la sécurité n’est pas d’avantage obstruction aux libertés que les abus et empiétement des libertés entre elles […],
- La sécurité première des libertés : c’était le sous-titre de la LOPSI 2002 rappelant cette corrélation entre ces deux principes comme le rappel d’une double condition de survie de la démocratie,
- une loi renforçant les moyens des forces de police et adaptant le cadre juridique de lutte contre des formes nouvelles de criminalité peut utilement permettre le blocage de téléphones volés et la géolocalisation de véhicules et engins volés, l’identification d’adresses IP d’internautes échangeant des images de pédopornographie,
- elle n’a, malgré ses détracteurs, d’autre but que d’améliorer la liberté et la sécurité des citoyens. (sécurité de voyager en RER et de faire un footing sans tomber dans les mains d’un sérial killer qu’on aurait pu identifier plus tôt,
- la dégradation de la sécurité peut menacer des libertés, »
2) D’autres préféreront le placer du côté de la Liberté comme Benjamin FRANKLIN dans sa célèbre citation :
« Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux. »
ou dans un langage moins feutré, l’humoriste Coluche qui déclarait :
« Les gardiens de la Paix, au lieu de nous la garder, ils feraient mieux de nous la foutre. »
Chacun s’installe dans son camp et les débats sont souvent stériles car le côté choisi découle en général non d’un argumentaire rationnel mais d’une conviction intérieure profonde basée sur le conflit interne que nous ressentons entre le besoin naturel de Liberté et de confiance et nos peurs conscientes et inconscientes.
Pour sortir de cette opposition, le professeur Frédéric ROGNON, proposait, en conclusion du colloque une première étape, l’introduction d’une « dialectique triangulaire » . Voici un extrait de sa conclusion :
« L’absolutisation de l’un des deux pôles risque de provoquer une rupture dans la dialectique. Afin de la rétablir, peut-être faudrait-il introduire un troisième terme, et construire ainsi un schéma à trois pôles, une dialectique triangulaire. Ce troisième pôle serait la responsabilité. Qu’est-ce à dire ? On définit souvent la responsabilité comme le respect de la loi, ou plutôt l’intériorisation de la loi. Cette définition me semble insuffisante : la responsabilité est le fait de répondre de soi-même, de rendre compte de sa conduite devant le tribunal de sa conscience (ce que l’on appelle le « for interne »), et pour les croyants devant Dieu. Et finalement, la responsabilité confine à une libération envers soi-même, à une prise de distance à l’égard de soi. »
C’est une approche intéressante car elle permet de s’extraire d’une approche dualiste et introduit une dimension spirituelle. C’est un chemin qu’il faut poursuivre pour aller encore plus loin.
Revenons pour cela sur l’approche sécuritaire : mettre en place des mesures de surveillance et de sécurité pour en faire l’écrin de la liberté. Si cette réaction à la violence est tout à fait compréhensible et peut-être instinctive, sa faiblesse est qu’elle se place du point de vue de la peur, que toutes les spiritualités et en particulier l’Évangile nous appelle à dépasser.
La réaction « libertaire », quant à elle, est parfois naïve et oublie en général de regarder en face deux choses :
- la nécessaire responsabilité et responsabilisation individuelle, rappelée par le professeur ROGNON,
- le prix du sacrifice qu’implique un chemin de Liberté. Car être libre peut faire peur...
Georges Moustaki chantait « Ma liberté [...] Et combien j’ai souffert pour pouvoir satisfaire toutes tes exigences », mais s’il y a peut-être une personne qui tout en intégrant le prix de ce sacrifice, a fait le choix de la Liberté c’est probablement Dietrich BONHOEFFER. Chercheur de Liberté, pasteur et résistant, il a aussi connu la détention dans les geôles de la GESTAPO. Voici une traduction des mots qu’il prononça à la Conférence œcuménique de Fanö (Danemark) en août 1934 :
« La paix, une audace :
Comment viendra la paix ?
Par un système d’accords politiques ?
Par des investissements économiques ?
Ou par un équilibre dans la course aux armements ?
Non, par rien de tout cela, et ceci pour la simple raison que dans tous les cas on confond paix et sécurité.
Il n’y a pas de paix possible sur la voie de la sécurité, car la paix est une audace, c’est une aventure qui ne va pas sans risques.
La paix, c’est le contraire de la sécurité.
« Sécurité » signifie méfiance qui à son tour entraîne la guerre.
Chercher la sécurité signifie se protéger soi-même, alors que la paix implique un abandon face au commandement de Dieu. [Aimez-vous les uns les autres ?] »
Un jour, discutant de ce sujet avec un ami, il me faisait remarquer que la paix est partagée, la sécurité, non. Pour lui la question était : vivre en sécurité ou Vivre. Commence alors à se dessiner un autre chemin : ce sacrifice pour la liberté, n’en est peut-être plus un, lorsqu’une transformation spirituelle s’est opérée chez la personne qui l’entreprend. Cette transformation, qui fait d’abord naître la responsabilité, puis faisant germer cette semence de Liberté dont la croissance ne peut plus être stoppée ni limitée par la peur. Et même par des circonstance extérieures très défavorables. Sur ce dépassement ultime de la peur qui fait que la liberté se libère elle-même des nécessités liées aux circonstances extérieure, c’est peut-être encore Dietrich BONHOEFFER, qui va nous en montrer le chemin.
Le médecin du camp où il fut pendu sur ordre d’Hitler, raconte ainsi sa mort :
« J’ai vu le pasteur Bonhoeffer à genoux, devant Dieu dans une intense prière. La manière parfaitement soumise et sûre d’être exaucée dont cet homme extraordinairement sympathique priait m’a profondément bouleversé. Sur le lieu de l’exécution, il a encore prié, puis il a monté courageusement les escaliers du gibet. La mort eut lieu en quelques secondes. En cinquante ans, je n’ai jamais vu mourir un homme aussi totalement abandonné entre les mains de Dieu. »