Ayons la victoire modeste !
La dernière Manif Pour Tous a fait son baroud d’honneur, dimanche 26 mai 2013. Les premiers mariages de personnes de même sexe sont en train de se célébrer, et la joie est grande pour toutes celles et tous ceux qui ont soutenu le projet de loi.
La tentation peut être grande de pousser le bouchon, de se venger des humiliations subies par des slogans suant l’incompréhension, pire la haine. On voit fleurir des initiatives mesquines ici et là.
Stop ! Je dis : Ayons la victoire joyeuse, mais modeste !
Essayons à présent d’entrer en dialogue avec ceux qui s’étaient opposés si virulemment, même si nombre d’opposants resteront des irréductibles. Certains comme ce père de famille nombreuse, catholique très pratiquant, demandent des comptes à leur hiérarchie ecclésiale, afin qu’elle s’explique sur son positionnement extrême (http://blogs.mediapart.fr/blog/thierry-peltier/280513/lettre-ouverte-labbe-grosjean-et-ceux-qui-le-suivent). Bravo pour l’indignation sincère de Thierry Peltier, d’autant plus prégnante que le contexte de la bataille politique s’éloigne !
Je crois aussi qu’il est aussi de notre devoir de chercher le dialogue afin de répondre, à froid désormais, aux craintes exprimées pendant ces longs mois de combat. Tant qu’on était dans l’affrontement cherchant à soutenir ou à empêcher la loi, les arguments des uns restaient inaudibles pour l’autre camp.
De l’intérêt supérieur de l’enfant
Dans un article, publié dans Le Plus du Nouvel Obs (http://leplus.nouvelobs.com/contribution/862631-mariage-gay-manif-pour-tous-je-veux-croire-que-tu-n-es-pas-homophobe-mais.html) à l’occasion de la journée contre l’homophobie, j’ai essayé d’invalider la rengaine « un enfant = un papa et une maman », en démontrant l’arrière-fond homophobe de l’argumentation.
Mais j’ai aussi essayé d’entendre le souci justifié de ces « mani-pestants » qui se cache derrière les slogans, à savoir l’intérêt supérieur de l’enfant, et d’expliquer que celui-ci réside ailleurs :
« L’essentiel est donc ailleurs : l’amour, la stabilité affective même en cas de séparation ou de deuil, le respect de la particularité de chaque enfant, le refus d’en faire autant que possible les souffre-douleurs de ses propres désillusions et névroses ou les "porte-bonheurs" de ses propres rêves, une suffisance matérielle minimale, etc.
N’est-ce pas là l’intérêt supérieur de l’enfant ? »
Je rêve qu’un jour, l’on se préoccupe réellement de l’enfant, sans œillères idéologiques, pour se rendre compte que familles classiques ou recomposées, homo- ou monoparentales sont dans le même bateau et peuvent échanger leurs expériences à ce sujet.
Grâce à une interpellation de la part d’une opposante, j’ai pu affiner ma réflexion quant à cette question en lui adressant cette réponse que je vous fais partager ci-après. Je n’y élude pas la question de la PMA et de la GPA.
Lettre à Madame F., orpheline de père, élevée dans une famille monoparentale
Madame,
Je vous remercie d’avoir pris la peine de réagir longuement à l’article que j’ai publié dans LePlus du Nouvel Observateur. Merci également de m’avoir pris pour témoin de votre expérience personnelle.
Je ne conteste nullement le fait qu’en tant que veuf/ve ou semi-orphelin/e, et même en tant qu’homosexuel/le, on puisse être opposé ou réticent à la récente loi votée et promulguée. Je maintiens néanmoins que l’insistance sur l’argument « un enfant - un papa - une maman » est abusive et que certains slogans très présents sont blessants. « Et ton papa – il est où ? », peut-on ainsi lire sur la photo que LePlus a choisie pour illustrer mon article. Vous ne croyez pas que cette question peut être douloureuse pour les enfants dont les pères sont absents, pour une raison ou pour une autre ?
Mais passons ! Là n’est pas l’essentiel.
La belle histoire et leçon de vie que vous me contez de votre mère, qui a choisi d’élever seule ses 5 enfants après le décès de son mari chéri, ne me semble pas contredire mes propos. N’ai-je pas écrit que « certaines personnes seules (…) arrivent au contraire à déployer une énergie admirable afin d’offrir les meilleures conditions possibles pour (l’) épanouissement » de leurs enfants. Votre mère est le meilleur exemple pour cela. D’autres enfants pourraient en témoigner : enfants de mères délaissées par leur compagnon (ou l’inverse !), enfants élevés par une grand-mère, enfants élevés par un père avec l’aide d’une tante etc.
J’entends bien que votre père décédé était symboliquement très présent, notamment par le témoignage de votre mère qui n’a jamais cessé de le porter dans son cœur et de vous le rendre présent. Pour moi, vous touchez là un point sensible et essentiel, mais peut-être pas celui auquel vous pensez.
Vous mettez l’accent sur la conception de l’enfant, sur la différence sexuée entre « père » et « mère », sur le lien généalogique parents-enfants. Sachez que depuis toujours le Code Civil introduit une certaine « fictivité » dans la filiation : en effet, il suffit qu’un homme « reconnaisse » l’enfant d’une femme pour être considéré comme son père. De même que, dans le mariage, l’enfant qui naît est automatiquement considéré comme l’enfant du mari, même s’il était adultérin.
Des récits pour intégrer l’histoire familiale
Encore une fois, il me semble que l’essentiel est ailleurs, même si vous me faites entendre le « hurlement des enfants adoptifs ou nés de PMA cherchant leurs origines génétiques ». Comme vous l’avez vécu (!), d’après votre témoignage, l’essentiel me semble être la manière dont nous disons à l’enfant les liens qui le lient à nous, afin qu’il entre pleinement dans les récits et l’histoire de la famille. Là, les liens affectifs me semblent primer largement sur les liens du sang, même si je ne nie pas que les choses sont plus simples quand liens du sang et liens affectifs coïncident. Je pense à Poil de Carotte qui avait cette phrase terrible, mais terriblement juste dans son cas : « Tout le monde ne peut pas être orphelin ! » Ceci montre que lien du sang sans lien affectif ne vaut pas grand-chose, alors que l’inverse n’est pas vrai !
Je pense effectivement que les récits familiaux doivent être empreints de sincérité, mais aussi de beaucoup d’affection et de tendresse, pour que l’enfant puisse s’y retrouver.
Absence de racines génétique : l’individu ne se résume pas à son passé
Cela ne l’empêchera peut-être pas de chercher ses origines génétiques, s’il est issu de dons de gamètes, ou d’en savoir plus sur les circonstances de son adoption, si tel est le cas. Ces recherches restent souvent vaines en raison du secret imposé (accouchement sous X, donneur anonyme) ou des circonstances inconnues. Ce n’est pas nouveau : depuis des temps ancestraux on a abandonné des bébés dans une corbeille auprès d’orphelinats. C’est là que je vois personnellement la limite des droits des enfants à connaître à tout prix leur origine : grâce au secret imposé, ils ont pu voir le jour, être donné à l’adoption. Même si c’est parfois difficile à admettre, ils doivent s’en contenter dans certains cas …
Un jour, me semble-t-il, tout être humain est appelé à se recevoir de lui-même (en tant que pasteur, je dirais volontiers « se recevoir de Dieu », mais ce n’est pas audible pour tout le monde). Car si le passé nous a fait naître, notre personne ne se résume pas à notre histoire quelle qu’elle soit. Nous ne sommes pas condamnés à nous enfermer dans des fidélités saines ou malsaines. Dans ce contexte, la phrase iconoclaste du Christ - « Ma mère, mes frères, mes sœurs ? Ce sont ceux qui écoutent la Parole de mon Père qui est dans les cieux ! » - est tout à fait prophétique.
« Droit à l’enfant » vs. « droit de l’enfant » ?
Un autre point que vous évoquez me permet de préciser ma pensée. Vous parlez de femmes célibataires ayant choisi d’adopter pour « équilibrer leur vie avec cet enfant adopté, enfant souvent venu du bout du monde. » Vous mettez ensuite les PMA et GPA en parallèle.
Je peux rejoindre certaines craintes de LMPT et de vous-même par rapport à ce qui a été désigné par le terme « droit à l’enfant ». L’enfant n’est pas simplement un objet de désir, ayant pour objectif de remplir un certain nombre de fonctions que les parents lui assigneraient abusivement : aide à l’équilibre personnel, béquille psychologique, sauver le couple, etc. L’enfant n’est pas là pour le confort ou les besoins personnels des parents. Contrairement, à ce que vous insinuez, ces travers ne sont nullement l’apanage des personnes seules qui adoptent ou des couples de personnes de même sexe : les maltraitances d’enfants constatées dans moult familles « bien hétérosexuelles comme il faut » le prouvent douloureusement.
Le désir d’enfant doit s’ouvrir à l’altérité fondamentale de l’enfant
Le désir d’enfant avec ses élans fusionnels – si bénéfique qu’il soit pour entourer la naissance (ou l’adoption) – doit mûrir, s’ouvrir à la particularité de chaque être humain, au respect de « l’altérité » profonde du petit homme ou de la petite femme en devenir, altérité à laquelle aucun lien de sang ne change rien.
Je conçois tout à fait que l’adoption et l’assistance médicale à la procréation sont des démarches particulièrement lourdes. Elles méritent que l’on y attache beaucoup d’attention avant d’y recourir.
Les lois françaises me semblent permettre de dire que ces conditions sont réunies. Les conditions pour obtenir l’agrément d’adoption et les contraintes médicales liées à une PMA sont suffisamment compliquées pour empêcher une adoption/une naissance par simple convenance ou un vague désir d’enfant. Que des couples de personnes de même sexe vont désormais « assouvir » librement un « droit à l’enfant » me semble donc relever d’un phantasme proche de la phobie. Le risque d’avoir une grossesse involontaire ou de « fabriquer » un enfant-objet par pure lubie est tout de même beaucoup plus grand chez les hétérosexuels. Le danger qui guette, au contraire, les enfants longuement désirés et « obtenus » dans la douleur après de longues démarches est plutôt le surinvestissement affectif par leurs parents, qu’ils soient homo- ou hétérosexuels.
GPA ?
Quant à la gestation pour autrui, j’imagine qu’elle n’aura que peu de chances d’être introduite en France, tant elle cumule les problématiques. En effet, en plus des difficultés liées à la fécondation artificielle et les transplantations d’ovules, elle pose le problème de l’éventuelle marchandisation d’un corps humain et l’intervention d’une tierce personne. Ces problématiques, pourtant, ne sont pas complètement insurmontables : des exemples de « mères porteuses » (engagées par des couples hétérosexuels !) complètement altruistes existent aux Etats-Unis, mais n’est-ce pas ici l’exception qui ne résisterait pas à la généralisation d’une telle pratique ?
Une fois de plus, je n’ai pas de jugement « dernier » sur la question, et peut-être allez-vous vous demander si vous n’auriez pas plutôt dû « fermer l’esprit » à ce pasteur avec les idées décidément trop larges. Mais j’espère que vous constaterez que je porte en toute chose d’abord le souci de l’enfant. Je suis persuadé que ce souci est tout à fait équivalent qu’il concerne les familles classiques ou les familles mono- et homoparentales et recomposées. L’effort et l’imagination bienveillante à fournir seront plus grands pour les dernières, mais ce n’est pas infranchissable.
(…)
Cordialement,
Jürgen Grauling, pasteur UEPAL à Sélestat, coauteur des 95 thèses sur l’accueil inconditionnel des minorités sexuelles (http://www.christianismesocial.org/protestants-pour-le-mariage-pour-268.html)