On appréciera dans ce livre la dimension territoriale de l’investigation. Les évolutions des politiques sociales sont décrites après enquêtes et travaux précis sur le territoire lyonnais. Se donne ainsi à voir l’imbrication et l’évolution des politiques publiques, parapubliques et privées, sur un siècle. Cette « mixed economy of welfare » nous interroge aujourd’hui sur plusieurs points :
– Comment la métropolisation des politiques sociales – qui trouve d’ailleurs un terrain d’expérimentation sur le Grand Lyon - va-t-elle modifier les compétences des collectivités ? Et complexifier encore le parcours des usagers ?
– Le passage d’une politique publique de subventions à une politique d’appel à projets ne manque pas déjà de limiter l’initiative associative. Ne va-t-elle pas permettre aussi de justifier la raréfaction des ressources publiques ?
– Comment suivre enfin l’évolution des quartiers, comment agir sur leur devenir ? Si la période traitée par l’ouvrage ne couvre pas vraiment « la politique de la ville » puisqu’il arrête dans les années 1980 son analyse fine, il donne envie d’une description aussi précise de la succession des politiques de la ville et de leurs effets.
Ecrit par une historienne des associations caritatives et humanitaires – on lui doit une histoire du mouvement Emmaüs et une du Secours Populaire – on appréciera l’intérêt porté aux associations et oeuvres de toutes origines confessionnelles et politiques. La place des associations d’inspiration protestante n’est pas oubliée : Mission Populaire, Entraide Protestante, Cimade. Cette histoire sur plus d’un siècle permet de voir aussi comment certaines émergent, changent ou refusent le changement, modifient leurs objectifs et le public vers lequel elles se tournent.
– Le paysage associatif a aussi évolué après les années 1980. Une première ébauche en est présentée dans la conclusion. Comment s’articulent les associations gestionnaires et les associations protestataires ? Quelle modalité d’organisation préconiser pour vraiment changer la situation sociale des plus pauvres ?
– Peut-être aurait-il été aussi intéressant de croiser ce champ de l’histoire des associations sociales avec celui d’autres organisations (notamment mutuelles et syndicats) qui interviennent aussi dans le combat contre la pauvreté, la vulnérabilité ? Mais on ne peut pas tout avoir !!
Le sous-titre de l’ouvrage utilise le terme de « vulnérabilités ». Il l’emploie précisément, après en avoir présenté l’histoire et discuté l’opportunité, pour mettre en lumière combien les politiques de lutte contre la pauvreté ont été présentées par leurs promoteurs comme des manières de pallier la maladie, l’incapacité ou la faiblesse physique et mentale. Cela dans la ligne hygiéniste dominante en France, qui permet de classer les pauvres entre « bons » (et incapables) et « mauvais » qui devraient pouvoir travailler (et ne pas devoir être aidés). L’approche est intéressante et apporte un complément utile aux histoires des critères de l’assistance.
– On constate bien, aujourd’hui encore, combien la précarité et la pauvreté provoquent ou aggravent maladies physiques et troubles psychiques. Mais on constate aussi combien les personnes souffrant de troubles psychiques ne sont pas réellement traitées : voir le nombre de détenus malades dans les prisons françaises, ou de personnes SDF en souffrance psychique.
– La « vulnérabilité » (le fait de pouvoir être « blessé ») se présente aussi chez certains auteurs comme une manière de relier les personnes en difficulté à celles qui le sont moins, au nom de leur commune fragilité et mortalité. La question est alors de savoir si cette vulnérabilité débouche sur des politiques de justice sociale et d’égalité, ou sur des formes de compassion facile qui commencerait –pour les moins « blessés » - par l’autocompassion ? La vulnérabilité est-elle la voie ouverte au « conservatisme compassionnel » ?