Le discours tenu aujourd’hui par le conseil de la FPF aurait pu être tenu, épîtres de Paul à l’appui, en 1973, quand le mari a perdu son statut de chef de famille. Au regard des critères invoqués aujourd’hui par le conseil de la FPF, cette modification introduisait « une grave confusion » dans la « différence symbolique » des rôles paternels et maternels au sein de la famille et portait atteinte à un héritage "anthropologique" millénaire. Mais il serait inexact de prétendre que cette modification du code civil a modifié nos repères alors qu’elle a simplement pris en compte une évolution profonde de ceux-ci.
Ni les symboles, ni l’anthropologie ne sont des invariants, même s’il est sage de tenir compte de la lenteur de leurs évolutions. Ce sont encore moins des absolus. La déclaration de la FPF ne le dit pas, mais, faute de mieux, elle semble s’y accrocher comme à des bouées de sauvetage.
Il y a un abîme entre les anthropologies bibliques (dont l’ancrage historique s’étale sur au moins 7 siècles) et nos multiples anthropologies actuelles. Cet abîme nous permet de mesurer combien notre compréhension de nous mêmes a évolué et s’est diversifiée au cours des siècles. Qui est en mesure aujourd’hui de donner une définition opératoire exclusive de ce que c’est que l’homme ? Les anthropologies sociologiques, psychologiques, juridiques, théologiques, etc, même si elles ne sont pas totalement incommensurables, ne se recouvrent pas et ne peuvent entrer en cohérence parfaite. Le fait que ces différentes anthropologies, chacune dans son champ de compétence, constituent des grilles de lecture opératoires, ne peut plus leur conférer aucun caractère normatif.
Nul ne peut échapper à ce « relativisme » épistémologique. Dans ce jeu, et en dépit de sa prétention dérisoire à dire à lui seul ce qu’il en est de l’Être et pas seulement de l’Homme, le structuralisme ne peut tenir lieu de théologie naturelle sur laquelle fonder une éthique chrétienne.
L’ordre symbolique auquel la déclaration fait référence, relève précisément d’une anthropologie structuraliste et psychanalytique qui s’est imposée comme le modèle même de l’anthropologie "relativiste". L’ordre symbolique n’existe comme tel que du fait du jeu des signifiants les uns avec les autres. Tous les signifiants y sont relatifs les uns aux autres. Invoquer la cohérence (ou la consistance) de l’ordre symbolique, comme semble le faire la déclaration de la FPF, implique que l’on accepte son ouverture (ou son incomplétude). Ce pourquoi la cohérence de l’ordre symbolique autorise, sinon appelle, une "poétique" des signifiants, c’est-à-dire l’invention de combinatoires inédites et l’introduction de nouveaux signifiants.
C’est bien ce dont il est question aujourd’hui avec le "mariage pour tous". Les signifiants en jeu n’y sont pas menacés de disparition, au contraire : ce à quoi nous sommes en train d’assister, c’est à une diversification de leur jeu. Ce qui nous effraie, ça n’est pas la perspective de la fin du jeu, mais le fait qu’il devient de plus en plus complexe ; c’est la créativité de l’ordre symbolique.
Il n’en demeure pas moins que, bien qu’elles aient depuis longtemps perdu leur caractère d’absolu, les différences symboliques entre le haut et le bas, le ciel et la terre, l’homme et la femme restent des conventions d’usage profondément ancrées dans nos mentalités, dont nous avons besoin pour nous orienter dans le monde, quelle que soit notre orientation sexuelle. Et leur prégnance est telle que rien, pas même une loi ni une liturgie de bénédiction, ne peut entretenir quelque confusion que ce soit à cet égard, et encore moins entre des couples d’hommes, des couples de femmes et des couples mixtes qui ont chacun leurs spécificités. Il serait certes préférable que la loi en tienne compte, ainsi que nos éventuelles liturgies, mais le ciel ne nous tombera pas sur la tête parce qu’elles les ignoreront.
Richard Bennahmias
Amsterdam, le 14 octobre 2012