J’ai vu assez de nuit dans vos yeux,
mon humanité,
j’ai vu assez de nuit dans vos yeux, et de peur,
dans vos yeux d’enfants roms jetés au fond de l’exil
après les jours d’insultes et de privations,
dans vos yeux d’enfants palestiniens
encerclés par le mur et la haine des grands,
dans vos yeux d’enfants violentés
dans le silence des drames domestiques
dont personne ne veut entendre l’écho à travers vos silences trop sages,
trop morts.
J’ai vu assez de nuit dans vos yeux, et de peur,
dans vos yeux d’adolescents mauves
menés au désespoir par les moqueries de ceux que le genre n’atteint pas,
dans vos yeux de jeunes filles de Manille
attendant d’être prostitués encore,
dans vos yeux obèses rivés aux écrans,
guettant l’ennui qui répond à l’ennui
en cascades de vide et de désillusion.
J’ai vu assez de nuit dans vos yeux, et de terreur,
dans vos yeux de femmes violées dans les guerres d’Afrique
dans vos yeux de femmes exsangues après les avortements clandestins
dans vos yeux de métallos à l’ombre des hauts fourneaux éteints à jamais
dans vos yeux de prisonniers au couloir de la mort
dans vos yeux de soldats
et dans vos yeux de traders qui savent bien, au fond,
que les marchés qu’ils font écrabouillent des vies
un peu plus loin
mais pas si loin
oh non, pas si loin.
J’ai vu assez de nuit dans vos plantations de thé ravagées par l’atome,
et dans vos plantations faussement vertes qui ne nourrissent plus personne
et font rouler les voitures des riches
et mourir un peu la planète
un peu et un peu et un peu encore
jusqu’à ce qu’il n’y aie plus rien.
J’ai vu assez de nuit dans vos yeux hurlant de faim.
Et puis j’ai vu assez de nuit et de gris mouillé,
dans vos yeux au grand âge lorsque vous aviez peur de perdre vos maigres pensions
et de manquer de tout avant de vieillir fous entre les portes fermées d’un reposoir,
et votre peur si belle de crever de solitude.
J’ai vu assez de nuit dans vos yeux
dit Dieu,
alors je viens, je viens comme je viens toujours,
dans la fragilité d’un regard d’enfant
né presque nulle part
alors je viens, je viens comme je viens toujours,
au bord de la route
sans rien changer d’autre que cela : une alliance, une promesse,
quelque chose de tout petit, d’humble, comme une étable,
et pourtant un grand sursaut de lumière,
pour vous dire que je suis avec vous
que je serai toujours avec vous
et que je me tiendrai à vos côtés
chaque jour où vous vous retrousserez les manches pour rendre ce monde un peu moins dur
que je serai avec vous pour mourir
et que je serai en vous pour vivre d’un amour plus fort que la mort
plus fort que la peur
plus fort que la violence
plus fort que la faim
Je serai en vous dans les gestes que vous ferez
chaque fois que vous sèmerez des étoiles dans les yeux de vos frères et sœurs.
Je serai en vous dans le plus étrange mystère de votre humanité
Et si vous me laissez être
en vous,
lumière du Royaume,
il ne fera rien qu’un peu moins nuit,
pour un tremblement de douceur, de paix, de joie,
il ne fera rien qu’un peu moins nuit,
mais ce rien qu’un peu, entre vous et Moi,
dit Dieu
fera toute la différence de l’aube.