On pourrait relever que ce type de famille n’est pas plus « traditionnelle » que toutes les valeurs traditionnelles, mais qu’elle est fruit d’une certaine époque, en l’occurrence le tournant entre le 18è et le 19è siècle [1]. Que la manière d’envisager les relations de parentés évolue et change avec le temps : le pater familias de la Rome antique avait-il quelque chose à voir avec le « chef de famille » qu’était, jusque dans les années 1960, le mâle de la maisonnée ? Et que dire de la manière dont la parenté au moyen-âge s’est restructuré, sous la double influence des modèles germaniques et latins combinée à l’action du clergé [2] ?
Mais à quoi bon aller plus loin ? Ce serait répéter une chose connue : les traditionalistes, de quelques obédiences qu’ils soient, confondent bien souvent la tradition avec une tradition.
Non, ce qui m’intéresse dans ces publicités et les attaques qui les suivent, c’est comment les premières sont révélatrices de l’idôlatrie consumériste contemporaine, et comment, par conséquent, les secondes se trompent de cible en attaquant une conception de la famille et non pas une conception du sacré.
Regardons ces publicités. Qu’y voit-on : une phrase choc, finissant par « la famille c’est sacré ».
En dessous, trois paires de chaussures avec le tarifs et le slogan « il faudrait être fou pour dépenser plus ».
L’effet dans l’esprit est simple : la position du texte indique que, ce qui finalement est sacré, ce sont les chaussures, puisque ce sont elles qui sont mises en valeurs. La famille n’est qu’un vecteur vers la sacralité des chaussures.
Encore que non, ce n’est pas les chaussures qui sont sacrées : c’est leur achat. Comme en témoignent les prix et le mot « dépenser » dans le slogan.
Donc le message est : « acheter des chaussures, chez Eram, c’est sacré, puisque cela sert la famille qui est elle même sacrée ».
Si je prend mon petit Larousse, édition 1998, à l’entrée « Sacré, e » j’obtiens la définition suivante :
- Qui a rapport au religieux, au divin (...)
- À qui ou à quoi l’on doit un respect absolu ; qui s’impose par sa haute valeur.
Laissons de côté la première définition et voyons ce que la seconde implique pour notre problème.
« L’acte d’acheter des chaussures, chez Eram, c’est sacré, on lui doit un respect absolu. Donc on doit acheter ces chaussures chez Eram ».
Voilà donc érigé au rang de Dieu un acte, celui d’acheter des chaussures. Mais, attendez que nous dit la bible sur le fait de rendre un culte à quelqu’un d’autre que Dieu ?
Tu n’auras pas d’autres dieux devant moi.
Ex 20, 3 (Bible de Jérusalem (1973))
Tiens, bizarrement aucune campagne internet des catholiques conservateurs pour violation du premier commandement ...
Et pourtant, quelles conséquences pour l’homme et la création ! Conséquence sur le rapport au travail, qui devient un simple outils pour gagner de l’argent afin d’acheter. Conséquence évidemment sur la planète. Conséquence sur nos rapports aux autres : puisque que je peux consommer, pourquoi m’intéresserai-je à l’autre ?
Bref, il y aurait beaucoup de chose à dire sur cette publicité d’un point de vu chrétien...
Mais voilà : il est plus facile de remettre en cause le mode de vie des autres : « bouh il est homosexuel », « bouh il est divorcé-remarié » que de réfléchir à son propre rapport à la consommation.