Les médias sont friands de ce souffle de révolte pacifique qui nous arrive d’Espagne. Ils l’appellent un mouvement de « jeunes ». Avez-vous remarqué comme la « jeunesse » s’étire de plus en plus dans notre société liquide ? Est considéré comme « jeune » toute personne qui vit de petits boulots, dans un petit appartement, avec ou sans acolyte. Bref, si tu tires le diable par la queue, tu es jeune. Et si tu contestes, tu es encore plus jeune. Les précaires, les contestataires, ont repris le mot… ils sont « jeunes ». C’est tentant de rester éternellement jeunes et contestataires. Pourtant, en réalité, derrière ce terme de « jeune » se cache la peur de la révolte et de la délinquance, le préjugé moqueur selon lequel ils ne seraient pas tout à fait sortis de l’adolescence, pas tout à fait responsable, pas tout à fait confirmés, pas tout à fait crédibles. A 30 ans et plus, même précaires, même « pas installés » dans la vie, ils sont des adultes à part entière. S’ils contestent, ce n’est pas parce qu’ils sont « jeunes » et insouciants mais bien parce qu’ils sont des citoyens responsables. Des citoyens qui se rendent compte que leurs conditions de vie sont indignes, que leurs conditions de travail sont indignes, que la condition des étrangers est indigne, que la condition des femmes est indigne… des citoyens qui s’indignent devant ces indignités en toute conscience de leurs actes et de leurs revendications.
Les médias sont aussi friands de ce qu’ils appellent une « révolte ». Certes, une révolte, une rébellion, parce que pour rendre visibles certaines revendications il faut crier plus fort que les autres. Mais ce terme ne doit pas nous faire croire que ces réclamations sont irréalisables. Ils ne demandent pas la Lune ! A moins qu’il faille aller jusqu’à la Lune pour trouver un peu de dignité. Ils veulent abolir les privilèges : ceux des hommes politiques, des banquiers, des grandes fortunes. Ils demandent des revenus dignes et une qualité de vie pour tout le monde. Il revendique le droit à un logement descend, à avoir accès à des services publics de qualité. Il s’attaque au problème de la démocratie et de la liberté de circulation*. Pour obtenir tout cela ils proposent, ni plus ni moins que de « changer le monde », rien que ça. Effectivement, désormais, pour gagner ces quelques droits fondamentaux, il n’y a pas d’autre choix. Pourtant, rien de fou, rien d’extrême, dans ces réclamations. Il s’agit simplement de gagner la dignité pour tous. Et s’il faut changer le monde, très bien, allons-y.
Ces « révoltes » de « jeunes » espagnols ont fait des petits. En France notamment. Parce qu’en France aussi il y a urgence à reconquérir une dignité. Et ce ne sont pas les partis politiques, ce ne sont pas les organisations, ce ne sont pas les syndicats qui se lancent, ce sont des citoyens, des « jeunes indignés ». Ils se rassemblent dans certaines villes. Ils sont par exemple place de la Bastille à Paris, une assemblée générale a lieu à 19H00 tous les soirs et un rassemblement dimanche à 14H00.
Ils ne sont pas nombreux, mais leur présence est importante. D’abord parce qu’elle est spontanée, parce que cela fait bien longtemps que jeunes et moins jeunes n’ont pas crié leur ras-le-bol. Ensuite parce que, alors qu’en Espagne se pose la question de débouchés politiques, en France ils sont envisageables. Que vont faire les candidats aux présidentielles si ce mouvement s’étend ? Se positionner ! Ils n’auront pas le choix, les indignés ne leur laisseront pas le choix ! Le PS pourrait (re)devenir socialiste, la gauche de gauche pourrait s’unir et oublier la forme parti pour créer d’autres alternatives, d’autres façons de faire de la politique, d’autres façons de faire une campagne électorale. Il est permis de rêver.
Et les citoyens jeunes et moins jeunes se réclamant du christianisme social ? Leur place est bel et bien là. Dans un mouvement à construire ensemble, un mouvement de débats, d’expériences multiples, de mélange de réflexion et d’action, dans un espace d’interpellations et de rassemblement. Bien sûr, c’est tout petit, mais nous sommes tout petits. Nous pouvons aller discuter avec les gens dans ces assemblées générales, nous pouvons nous renseigner, parler du mouvement autour de nous, y investir nos associations, écrire des articles… A partir du moment où les formes du Politique bougent, nous pouvons avoir une place pour poser les questions autrement et échapper aux doctrines. Prenons cette place !
En 1961, en pleine guerre d’Algérie, la jeunesse protestante appelait à s’indigner contre une société qui s’éloignait de leurs valeurs, en s’investissant dans les partis et en se syndiquant. Le 2 octobre 2010, nous étions beaucoup à penser qu’il y avait (qu’il y a) urgence à s’emparer du Politique, mais il était impossible de reprendre ces mots d’ordre vieux de 50 ans. Aujourd’hui une opportunité nous est offerte de concilier engagement chrétien et engagement dans la cité pour un monde meilleur, pour construire le Royaume sur Terre. Emparons nous du Politique !
*plate-forme de revendications de Madrid et Barcelone