En représentant Jésus crucifié, en l’utilisant comme symbole de leur foi, des chrétiens choisissent eux-mêmes de le représenter outragé. Depuis des siècles, Dieu crucifié et outragé est l’objet d’une vénération. C’est par cet objet que dès l’entrée dans leurs lieux de culte, des chrétiens prétendent proposer leur foi comme étant celle de la vie. Fascination pour la souffrance et le goût du sang ? Le peuple de Dieu qui s’indigne aujourd’hui n’est-il pas celui qui le jour de Vendredi-Saint a crié à Pilate « Crucifie-le » ?
En se sentant scandalisés par ce qu’ils considèrent comme un objet offensant à l’endroit du Christ, ils oublient qu’eux même, ils laissent leur Dieu depuis des siècles à l’état d’objet dans une humiliation qu’ils honorent, devant laquelle ils s’agenouillent, se prosternent et vénèrent sans plus se poser la question du scandale et de la folie de l’événement auquel cet objet se rapporte. Ils ont décidé de figer l’histoire de Dieu et de son Salut sur Vendredi-Saint, laissant de côté la vie et la résurrection de Jésus le Christ porteuses de cette promesse : que le pardon serait plus fort que l’offense, que la vie serait plus forte que la mort.
Car la mort de Jésus n’est pas une mis en scène et la vénération de la représentation matérielle de Jésus crucifié n’est toujours pas le langage la croix dont parle Paul en 1 Co 1, 22-25. Jésus devenu le ressuscité, la croix est devenue un langage, non un objet de culte. Ce langage de la croix n’est pas non plus un prêchi-prêcha tout autant idolâtre. Paul explique aux versets 26 et suivants que le langage de la croix est un retournement de situation, une inversion des valeurs : Ce qui est faible et méprisé dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre les forts et les réduire à rien. Dans les versets 26 et suivants, le Christ est détaché de la croix, il devient alors résurrection pour ceux qui étaient méprisés. Ceux qui passaient pour sages aux yeux du monde ont été mis en échec : les bigots qui croyaient pouvoir se glorifier devant Dieu à cause de leur vie prétendument exemplaire, puis les sages qui croyaient pouvoir se suffire à eux-mêmes par leur propre intelligence. Le langage de la croix c’est penser une vie par laquelle le plus fragile devient le dénominateur de la vie en commun. La communauté est pensée à partir des humiliés de la vie pour que ceux-ci soient relevés de leur humiliation. Le langage de la croix est une inversion, un bouleversement des valeurs, une soif de justice que le monde attend. D’où qu’il vienne et indépendamment de sa condition (juif, grec, riche, pauvre, femme, homme, affranchi ou esclave moderne) nul ne saurait se glorifier devant Dieu ou être exclu de sa justice.
Si Piss Christ était une offense à l’égard de Dieu, il ne le serait ni plus ni moins que cette représentation matérielle mettant en scène Jésus figé dans le crucifiement et l’humiliation, attirant à cet objet adoration et fascination séculaire. Nous pouvons prendre acte avec intérêt et sans surprise que l’histoire de la violence de Vendredi-Saint se perpétue et que pour une idole, les humains sont toujours prêts à la violence. La vitre de Piss Christ fracturée juste avant Vendredi-Saint de l’année 2011 porte en elle et de manière indélébile dans sa propre histoire, la marque de l’histoire de la violence et la folie humaine. Et en cela Piss Christ en aura d’autant plus de sens et de force dans la faiblesse.
Diakonéo