Fut un temps, il était rationnel de penser que Dieu existait, et les personnes qui remettaient en question cette idée étaient au mieux des fous, au pire des agents du démon ou des asociaux. Mais avant, c’était les chrétiens qui étaient irrationnels avec leur Messie crucifié [1], puis un jour ce fut les païens et les juifs qui passèrent pour irrationnels, car refusant la révélation ultime en Jésus-Christ. Aujourd’hui c’est la foi en Dieu qui apparaît irrationnelle pour bien de nos contemporains.
Fut un temps, il était rationnel de penser que si une pomme tombait, c’était parce qu’il était dans sa nature de tomber. Puis Newton vint, et la rationalité fut de penser que si une pomme tombait, c’est parce qu’il existait une force qui la reliait à la terre. Et ensuite la rationalité fut la théorie d’Einstein, qui expliquait l’attraction de la pomme par la déformation locale de l’espace-temps.
On le voit, la rationalité d’une pensée, d’une idée, n’a de sens, de valeur qu’à l’intérieur d’un paradigme [2].
On peut toujours dire : à l’intérieur du système économique, la décision des agences de notations à sa rationalité. « L’économie veut que cette note soit dégradée ».
Oui, mais … l’économie n’est pas un paradigme de pensée. L’économie est une matière, une discipline. À l’intérieure de cette discipline, plusieurs paradigmes de pensée peuvent exister : aujourd’hui on nous présente le paradigme actuel, celui de l’évaluation constante, de la concurrence, du toujours plus, comme l’économie. Mais il ne s’agit que d’un paradigme, le paradigme que je qualifierais rapidement de libéral productiviste.
La théologie de Luther n’est pas la théologie, la théologie du concile de Trente n’est pas la théologie, celle de Vatican II non plus. Ce sont des paradigmes théologiques. Ils ont plus ou moins de cohérences internes. Mais aucune ne peut en soi prétendre s’imposer comme la vérité théologique. La théologie serait l’art de trouver le meilleur paradigme, celui le plus à même d’annoncer et de rendre compte de l’Évangile dans une situation précise.
De même, la physique d’Einstein, celle de Newton, celle d’Aristote, ne sont pas la physique : elles sont seulement différents paradigmes. La physique serait l’art de trouver le meilleur paradigme, celui le plus à même de rendre compte des phénomènes matériels qui nous entourent.
Et alors, qu’est ce que serait l’économie ? Le mot économie est formé de deux mots : nomos, qui désigne la règle, la manière, l’usage, voire un style musicale ; et oikos : la maison, le lieu de vie.
L’économie serait donc la manière de trouver le meilleur paradigme de règles pour gérer la maison. L’économie, c’est la science de la gestion du bien commun. Ce n’est pas la science de la concurrence et de l’évaluation, cela, c’est l’application d’un paradigme économique.
Deux questions se posent alors :
- Quels seraient les critères pour trouver le meilleur paradigme économique ? Voilà un peu près depuis que l’homme pense, que l’homme vit en communauté, qu’on se pose la communauté. Je ne prétendrais pas y répondre dans cet article.
- Quel est aujourd’hui le meilleur paradigme ? Le paradigme marxiste, le paradigme libéral productiviste, le paradigme keynésien, le paradigme écologique ? J’ai bien ma préférence pour le dernier [3], mais là n’est pas la question.
Aujourd’hui, je constate simplement que le paradigme qui sert aux agences de notations n’est pas, pour moi, pour les hommes, un paradigme fiable. Car au lieu de rendre service au bien commun, et donc à tous, il ne rend service qu’à quelques uns, puisqu’une dictature y est meilleure qu’un mouvement démocratique. Peu m’importe que cette dégradation soit justifiée dans ce paradigme : ce qu’il faut changer, c’est ce paradigme.
Aujourd’hui, le mot économie n’est plus utilisé dans le discours dominant pour parler de la manière de trouver une modus vivendi, au sens noble, c’est-à-dire une manière de vivre dans une seule maison. Il est là pour justifier le modus vivendi de quelques uns, le way of life, le productivisme et la concurrence, ce way of life qui au dire de Georges Bush Junior ne serait pas négociable pour les Américains.
Alors, j’ai envie de rappeler que le mot économie peut être un bon mot, un beau mot, un mot agréable, un mot doux, un mot de foi.
Dans le Nouveau Testament et chez les Pères de l’Église il désigne parfois, souvent même, la manière dont Dieu intervient pour gérer avec l’homme sa création, pour que la création reste bonne (Gn 1), (re)devienne bonne. Ce qu’on appelle parfois l’action salvatrice de Dieu, l’économie du salut.
Je cite ici deux passages du Nouveau Testament où le mot économie à ce sens, celui de l’effort constant de Dieu pour entretenir une relation sereine avec l’homme, pour que l’homme entretienne cette relation sereine avec lui-même et avec la maison, dans laquelle il l’a placé, cette maison-jardin qu’est la Terre [4].
1 3 Καθὼς παρεκάλεσά σε προσμεῖναι ἐν Ἐφέσῳ πορευόμενος εἰς Μακεδονίαν, ἵνα παραγγείλῃς τισὶν μὴ ἑτεροδιδασκαλεῖν
4 μηδὲ προσέχειν μύθοις καὶ γενεαλογίαις ἀπεράντοις, αἵτινες ἐκζητήσεις παρέχουσιν μᾶλλον ἢ οἰκονομίαν θεοῦ τὴν ἐν πίστει.
1 Tm 1, 3-4 (Nestlé-Aland)
1 3 Selon ce que je t’ai recommandé à mon départ pour la Macédoine, demeure à Ephèse pour enjoindre à certains de ne pas enseigner une autre doctrine,
4 et de ne pas s’attacher à des légendes et à des généalogies sans fin ; cela favorise les discussions plutôt que l’économie de Dieu, qui se réalise dans la foi.
1 Tm 1, 3-4 (Traduction Œcuménique de la Bible [5])
3 8 Ἐμοὶ τῷ ἐλαχιστοτέρῳ πάντων ἁγίων ἐδόθη ἡ χάρις αὕτη, τοῖς ἔθνεσιν εὐαγγελίσασθαι τὸ ἀνεξιχνίαστον πλοῦτος τοῦ Χριστοῦ
9 καὶ φωτίσαι [πάντας] τίς ἡ οἰκονομία τοῦ μυστηρίου τοῦ ἀποκεκρυμμένου ἀπὸ τῶν αἰώνων ἐν τῷ θεῷ τῷ τὰ πάντα κτίσαντι,
10 ἵνα γνωρισθῇ νῦν ταῖς ἀρχαῖς καὶ ταῖς ἐξουσίαις ἐν τοῖς ἐπουρανίοις διὰ τῆς ἐκκλησίας ἡ πολυποίκιλος σοφία τοῦ θεοῦ,
11 κατὰ πρόθεσιν τῶν αἰώνων ἣν ἐποίησεν ἐν τῷ Χριστῷ Ἰησοῦ τῷ κυρίῳ ἡμῶν,
Ep 3, 8-11 (Nestlé-Aland)
3 8 Moi, qui suis le dernier des derniers de tous les saints, j’ai reçu cette grâce d’annoncer aux païens l’impénétrable richesse du Christ
9 et de mettre en lumière l’économie du mystère tenu caché depuis toujours en lui, le créateur de l’univers ;
10 ainsi désormais les Autorités et Pouvoirs, dans les cieux, connaissent, grâce à l’Eglise, la sagesse multiple de Dieu,
11 selon le projet éternel qu’il a exécuté en Jésus Christ notre Seigneur.
Ep 3, 8-11 (Traduction Œcuménique de la Bible [6])
Cette économie, de Dieu, les auteurs des livres bibliques l’ont vu dans la création ; dans la promesse divine de ne plus détruire la terre mais de garder son arc posé dans le ciel ; dans la libération du peuple d’Israël de l’Égypte et de Babylone, dans la prédication, la vie, l’amour jusqu’à la mort, la résurrection de Jésus ; ils l’ont espérée pour une fin du monde proche.
L’économie divine implique la libération d’un peuple. L’économie divine n’est qu’une économie en vue de la libération. La rationalité du paradigme de l’économie divine, c’est la libération.
Si Dieu avait noté l’Égypte, la Tunisie, la Libye, selon sa rationalité économique, la note aurait été faible pendant longtemps, elle aurait bondi ces derniers temps.
La rationalité de l’économie divine n’est pas celle de l’économie des agences de notations.
Mais après tout, Paul nous avait avertis depuis longtemps.
1 25 Ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes.
1 Co 1, 25 (Traduction Œcuménique de la Bible)
Et pour une fois, je conclus un de mes articles par …
Amen !
Ps : cet article est repris de mon site : http://blog.maieul.net/Un-si-beau-mot