Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche
Appel pour une relance du christianisme social, pour des communes théologiques

Accueil > Fin de vie - Ecrire une loi

Article publié

Un texte de Pierre Encrevé

Fin de vie - Ecrire une loi

mercredi 5 octobre 2022

En 2014, Pierre Encrévé et Didier Sicard proposaient lors du Forum Regards protestants, qu’une nouvelle loi sur la fin de vie permette d’avancer sur cette question, au-delà d’une loi Léonetti qu’ils jugeaient insuffisante. Nous republions l’intervention de Pierre Encrevé, ce jour-là. Comme un hommage à celui qui nous a quitté trop tôt en février 2019.

Je commencerai pas résumer en quelques phrases comment nous pourrions concevoir le rapport entre l’éthique et la loi s’agissant de la fin de vie. Une loi existe, que son rapporteur définissait comme celle du « laisser mourir sans faire mourir », loi qui laisse évidemment bien des problèmes en suspens comme tant de cas médiatisés l’ont rendu manifeste, et qui en a créé d’autres. Une nouvelle loi est nécessaire qui aménage et prolonge la loi actuelle. Mais la loi à écrire ne peut être la norme qui guide les décisions et les actions tant du sujet en fin de vie que de son entourage médical et non médical, lesquelles doivent être orientées par une éthique relationnelle qui se transcrive en une morale de situation face à chaque cas individuel. La loi doit poser un cadre des possibles légitimes qui ne fasse pas obstacle à cette éthique, alors qu’aujourd’hui elle s’oppose dans certains cas à ce que l’éthique impose dans le respect de la liberté et de la solidarité des sujets.

Dans le temps bref de cette fin de matinée et de l’atelier de l’après-midi, nous voudrions commencer à nous livrer à un exercice difficile dont il nous semble qu’une éthique de l’intellectuel protestant, s’il en est une, devrait tenter de l’assumer, à savoir, au-delà des réflexions générales et des points principiaux, se poser précisément la question de la « fabrication » de la loi nécessaire aujourd’hui en France au sujet de la fin de vie, et même celle de son écriture mot à mot –ce qui pourrait être le travail de l’atelier-, car c’est dans l’écriture même de la loi qu’on peut laisser ou non une place à l’engagement éthique devant chaque cas particulier saisi dans son caractère d’unicité. Il s’agit pour nous et notre Forum d’accompagner activement le travail, en cours d’élaboration, d’une loi proposant des aménagements importants à la loi en vigueur, la loi Léonetti de 2005.

C’est-à-dire que nous nous proposons une tout autre réflexion que celles qui ont été menées un peu partout en France depuis deux ans, consistant à s’interroger de toutes les manières sur la légitimité le bien-fondé, les avantages et les inconvénients d’une nouvelle législation. L’EPUdF a adopté à Lyon l’an dernier un texte pesant le pour et le contre et soulignant qu’il ne pouvait y avoir, sur un sujet impliquant l’éthique, une position protestante unique dans une église plurielle : « Il n’a y pas une seule éthique dans le protestantisme ». Le récent rapport du CCNE du 23 octobre fait, en 74 pages, la synthèse de ces deux années de débats où tous les arguments ont été longuement échangés.

Aujourd’hui nous nous situons résolument au-delà. Nous sommes entrés dans le temps de la sagesse pratique, au sens de Ricoeur. L’éthique qui sous-tend nos choix ne prétend pas être celle, introuvable, du protestantisme, mais elle s’assume comme une éthique protestante. Nous acceptons l’un et l’autre la nécessité d’une loi et les questions que nous posons aujourd’hui se situent dans ce cadre : une loi, oui ; laquelle, visant quels objectifs, rédigée en quels termes ?

Pourquoi cette nécessité s’impose-t-elle à nous ? Tout est parti de la proposition faite par le candidat Hollande de répondre positivement à la demande d’un malade en fin de vie de « bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ». Devenu Président de la république en mai 2012, dès juillet il a chargé Didier Sicard de présider une Commission de réflexion sur la fin de vie en France. Didier a avancé à marche forcée et, après nombre d‘auditions et l’organisation d’une large série de débats publics, sa Commission a rendu un rapport, dit rapport Sicard, qui a eu un retentissement considérable et a changé d’un coup la situation. Paradoxalement, en effet, alors même que ce rapport concluait négativement sur la nécessité d’une nouvelle initiative législative, jugeant que sa désormais fameuse « proposition d’une solution à la française » d’une sédation terminale était compatible avec la loi Léonetti, Jean Léonetti lui-même s’appuyait sur ce rapport pour déposer dès le début mars 2013 une proposition de loi signée par 140 députés UMP aménageant sa propre loi dans ce sens. Le conseil de l’ordre des médecins lui aussi publiait un avis soutenant la nécessité, à la suite du rapport Sicard d’aller au-delà de la loi actuelle. En outre, comme le remarque le CCNE dans son rapport tout récent, ce que le rapport Sicard proposait pour améliorer la situation générale sans changement législatif, à savoir un processus menant à un véritable changement de la culture hospitalière, deux ans après n’a reçu aucune mise en œuvre. D’où notre position commune : puisque les propositions du rapport Sicard s’avèrent ne pouvoir s’inscrire juridiquement dans le cadre de la loi actuelle, et que la situation est toujours ressentie comme inacceptable par 90% des français devant ce que le CCNE stigmatise comme, je cite, « la situation d’abandon d’une immense majorité des personnes en fin de vie, et la fin de vie insupportable d’une très grande majorité de nos concitoyens », va pour une nouvelle loi.

La loi Léonetti de 2005 a été adoptée à l’unanimité de l’AN, c’est certainement pourquoi, dans l’intention de parvenir au texte le plus consensuel possible, notre si critiqué PR, dont on sait l’amour des synthèses, a, en juillet de cette année, judicieusement chargé conjointement Jean Léonetti et le député socialiste Alain Claeys de « proposer des aménagements à la loi sur la fin de vie ». Les deux groupes parlementaires étant impliqués dans l’élaboration d’une loi, il va de soi que cette loi devrait voir le jour, probablement en 2015. Nous nous situons résolument dans le cadre de cette situation nouvelle. Situation qui nous impose à nous aussi des contraintes : il est clair que nos propositions d’écriture ne pourront être éventuellement entendues que si elles tiennent compte de cette recherche d’un consensus national – ce qui ne nous interdit pas pourtant d’aller au-delà du consensus actuel pour contribuer à construire un consensus plus proche des attentes majoritaires manifestées dans l’ensemble des débats et consultations de ces deux dernières années.
Le gouvernement a précisé, en missionnant les deux parlementaires, que la future loi devra poursuivre un triple objectif : « assurer le développement de la médecine palliative, mieux organiser le recueil et la prise en compte des directives anticipées, définir les conditions et les circonstances précises dans lesquelles l’apaisement des souffrances peut conduire à abréger la vie dans le respect de l’autonomie de la personne ». Nous ne reviendrons pas ce matin sur les objectifs concernant la médecine palliative et les directives anticipées aussi importants et décisifs même soient-ils : leur principe ne fait pas problèmes. Nous préférons nous concentrer sur le troisième, celui qui pose assurément les plus difficiles questions quant au contenu propositionnel de la loi et à son écriture précise.

Nous ne l’aborderons pas immédiatement car nous voudrions évoquer trois « motifs », trois thèmes où se nouent principalement la dialectique de l’éthique et de la loi, et c’est dans le dernier seulement, autour de la désacralisation de la vie et de la mort, que nous entrerons directement dans ce point précis de la loi à écrire. Nos deux premiers thèmes, hélas, n’ont pas été évoqués par la lettre de mission.

1-Pour commencer, donc, nous voudrions insister ici sur ce qu’on peut appeler l’insuffisance intrinsèque de toute législation quant à l’établissement d’une éthique relationnelle de la fin de vie, qui est pourtant le cœur même de la question. Dans un monde parfait, la loi serait inutile ; dans notre monde elle est un moindre mal, à condition qu’elle ne soit pas posée comme normative mais seulement comme ouverture de possibles.

2- Autre point essentiel, fort mal traité, de l’avis de tous, dans la législation actuelle, la question dite de la collégialité (qui comprend aussi celle de la désignation d’une personne de confiance). [cf les remarques incisives du CCNE sur la nécessité d’une véritable délibération collective.]…Là aussi c’est évidemment Didier, qui peut le mieux poser les termes de la réflexion.

3-Passons enfin à la loi, en nous saisissant du troisième objectif, sur lequel nous interviendrons rapidement l’un et l’autre.
Ce 3e objectif de la mission Claeys-Léonetti consiste, je le rappelle à « définir les conditions précises dans lesquelles l’apaisement des souffrances peut conduire à abréger la vie dans le respect de l’autonomie de la personne ». Abréger la vie : cette formulation est nettement plus directe que celle de la proposition 21 du candidat, qui euphémisait maximalement le problème en ne parlant que d’ « une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ». Notons une autre évolution de vocabulaire : on sort de la thématique discutable de la « dignité », introduite avec beaucoup de succès par l’ADMD, au profit de celle de la liberté, c-a-d des droits fondamentaux.

En employant ouvertement l’expression « abréger la vie », le gouvernement ouvre clairement la porte aux deux thèmes centraux en débat, ce qu’il est convenu d’appeler l’ « euthanasie », même sous la forme la plus atténuée de la sédation terminale qui est assurément la voie qu’emprunteront les deux députés, et le « suicide assisté ». Et c’est naturellement là-dessus qu’une prise de position publique de notre Forum serait le plus utile. Abréger la vie c’est en effet, pour certains, franchir un interdit absolu, au nom soit du serment d’Hippocrate, soit du 6e commandement du Décalogue.

En grec classique, « euthanasia » signifie mort heureuse, belle mort. Le terme euthanasie est retenu par la version en français de la loi belge qui la définit comme « l’acte, pratiqué par un tiers, qui met intentionnellement fin à la vie d’une personne à la demande de celle-ci ». La loi des Pays-Bas adopte la même conception. En France, les autorités évitent le terme, sachant qu’il suscite immédiatement un rejet radical d’une partie de ce qu’on appelle l’opinion publique, notamment de l’Eglise catholique, mais aussi de tous ceux qui associent l’euthanasie à l’idée d’une mort non pas demandée par les malades mais imposée aux malades. Il est sûr que l’emploi du terme pour ce qu’on appelle « l’euthanasie animale » n’invite guère à y recourir pour les humains.

Pour ma part je récuse le terme d’euthanasie dans ces situations tout simplement parce qu’il me paraît inapproprié. Je pense que, dès lors, qu’il y a intervention, on ne peut parler de belle mort ou de mort heureuse, qualificatifs qui ne s’emploient justement que dans les cas de mort naturelle paisible, sans souffrance. Mais l’aide à mourir, aussi légitime et nécessaire soit-elle, parce qu’elle n’est envisagée que dans des situations de « souffrance physique ou psychique insupportable et qui ne peut être apaisée » – ce sont les termes de la loi belge repris dans la proposition du candidat Hollande - est toujours, à mon sens, une dysthanasie, une mort assistée certes mais qu’on ne saurait qualifier d’heureuse.

L’aide à mourir n’est en aucun cas un simple acte technique, en toute neutralité éthique, elle est toujours partie prenante du tragique de la mort. Evitons donc le terme d’euthanasie pour ne retenir que cette description de l’acte en question : une réponse, sous une forme à préciser, à la demande d’un sujet en fin de vie de mettre définitivement un terme à sa situation insupportable.

On sait que cette demande peut prendre deux voies différentes : soit la demande que le médecin lui-même accomplisse l’acte terminal, soit la demande que le médecin fournisse au sujet un moyen non douloureux de mettre lui-même fin à ses jours, ce qu’on désigne généralement comme « suicide assisté » terme également inapproprié à mon sens, sur lequel je reviendrai.

Il nous paraît symboliquement nécessaire que nous prenions clairement position en faveur d’une réponse positive, dans des conditions précises bien déterminées, à la demande d’un malade en fin de vie d’abréger sa vie. C’est-à-dire que nous soutenions sans réserve une désacralisation de la vie et de la mort en récusant tout prétendu « interdit » sur ce point. L’interdit, c’est de prendre la vie de quelqu’un malgré lui, ce ne peut pas être de lui donner la mort qu’il demande qu’on lui donne. Le serment d’Hippocrate, l’original, pas celui que le Conseil de l’ordre fait tenir aux nouveaux docteurs en médecine, ne comporte d’ailleurs pas directement l’engagement de ne pas faire mourir, il impose seulement au médecin de ne jamais nuire volontairement à son malade ; mais répondre médicalement à sa demande d’aide à mourir ne peut pas être assimilé à une agression meurtrière.

Quant au 6ecommandement d’Exode 20,13, c’est très abusivement qu’on le traduit par « Tu ne tueras point », alors que la traduction correcte, compte tenu du verbe hébreu utilisé, est : « Tu ne commettras pas de meurtre », comme on lit, par exemple dans la TOB ou la Nouvelle Bible Segond : l’interdit ne porte que sur le fait de tuer hors-la-loi, mais, aussitôt après le Décalogue la loi mosaïque elle-même ordonne, on le sait bien, toute une série de des mises à mort (adultères, homosexuels, etc) sans compter la guerre pour Yahvé.

Ni les Ecritures ni la tradition républicaine n’interdisent de donner la mort en toute circonstance mais cet acte n’est légitime et légal que si une loi l’autorise, ou l’ordonne. C’est le cas devant lequel nous sommes : rédiger une loi qui autorise le médecin, dans des conditions et des circonstances précises, à abréger la vie d’un sujet en fin de vie à sa demande explicite.
S’agissant du premier cas, celui d’un malade en fin de vie qui demande à un médecin de faire une intervention qui mette fin à cette vie devenue insupportable, nous proposons évidemment que la loi choisisse ce que le rapport Sicard préconise à savoir une sédation terminale « accélérant la survenue de la mort »- ce sont les termes mêmes du rapport Sicard. Ce point est important.

La proposition de Loi Léonetti de mars 2013 propose de donner au malade le droit de demander un traitement à visée sédative, y compris si ce traitement peut avoir pour effet secondaire d’abréger la vie ». On reconnaît le fameux « double effet », la formulation relevant d’une stratégie d’évitement : ne pas donner prise à l’accusation de franchir le prétendu « interdit ». Mais si la demande est précisément de mettre un terme à la vie, la réponse doit être conforme à la demande, sous peine de ne pas respecter l’autonomie du sujet, son droit. Car il s’agit bien de reconnaître au sujet un droit qui n’est pas encore inscrit dans la législation. Contrairement aux lois du Bénélix, la « solution à la française », proposée par la Commission Sicard, permet de répondre à cette demande sans passer par la violence dite euthanasique d’une injection létale.

Mais cette solution ne doit impérativement ne s’appliquer qu’à une seule catégorie de malades, ceux qui sont en état de s’exprimer et formulent explicitement une telle demande sous forme écrite, ainsi que ceux qui ne sont pas en état de s’exprimer mais qui ont rédigé des directives anticipées comprenant une telle demande.

Si la loi permet la mise en place de formulaires bien rédigés de directives anticipées, puis leur diffusion à tous les assurés sociaux, et enfin l’accessibilité à tout moment à ces directives en les inscrivant dans la carte vitale, on peut penser que dans un temps relativement limité une part importante des assuré sociaux les rempliront, comme en Allemagne, en Italie ou au Royaume-Uni, et que cette première catégorie de malade sera un jour majoritaire comme dans ces pays voisins. Pour ceux qui choisiront de ne pas remplir de directives anticipées, ou qui, pouvant s’exprimer ne formulent pas de demande de ce type, on sera alors en droit d’estimer qu’ils refusent le recours à une sédation terminale. Dans ce cas c’est la loi Léonetti actuelle qui s’appliquera, avec la solution éventuelle du laisser mourir accompagné de sédations n’abrégeant pas la vie.

Mais qu’en est-il des mineurs et particulièrement qu’en est-il des sujets concernés par la médecine néo-natale ? Doivent-ils être limités, éventuellement au « laisser mourir » consécutif à la suppression de toute alimentation et de toute hydratation , épreuve extrêmement violente en tout cas pour les parents comme le rapport du Centre d’éthique clinique de l’hôpital Cochin l’a souligné au début de cette année ? Nous pensons, au contraire que, si cela semble s’imposer, les nouveaux-nés et les mineurs, peuvent eux aussi recevoir une sédation terminale à la demande explicite des parents ou avec leur accord explicite sur la suggestion du médecin, d’autant que le terme mineur vise des sujets d’âge très différents sur lesquels la loi devra apporter des précisions. En vue d’une rédaction, il faudra s’interroger, sur les sujets de 16 à 18 ans que les lois du Bénélux sur la fin de vie considère à égalité avec les adultes : plus exposés encore que les adultes aux accidents de la circulation, peuvent-ils rédiger des directives anticipées où éventuellement exprimer une demande de sédation terminale, sur laquelle, évidemment, l’accord des parents devrait impérativement être recueilli ?

Deuxième et dernier cas à considérer, celui dit du « suicide assisté ». Là aussi il faut lever l’idée d’interdit, à condition toutefois, la restriction n’est pas triviale, de limiter la loi aux personnes majeures. Le suicide est dépénalisé en France depuis le Code révolutionnaire de 1791. Les juristes discutent à l’infini pour savoir si c’est juridiquement parlant un droit ou une latitude, mais nul ne conteste que c’est une liberté reconnue au sujet. Théologiquement, comme l’a rappelé le texte de l’EPUdF, Karl Barth, Boenhoffer et bien d’autres ont souligné que la Bible, qui en relate trois cas, n’énonce aucune condamnation du suicide. « La vie n’est pas le souverain » bien souligne Barth qui précise : « Ne convient-il pas d’envisager que se tuer n’est pas forcément un crime, mais qu’il s’agit d’une action qui peut être accomplie dans la foi et dans la paix avec Dieu ? » Or le suicide des personnes âgées est considérable en France : environ 3000 chaque année soit 30 % des suicides. D’après l’Observatoire national de la fin de vie, je cite, « le suicide est l’une des principales causes de décès de la personne âgée, avec le cancer et les maladies cardio-vasculaires…Chez les plus de 85 ans, la prévalence du suicide est deux fois supérieure à celle des 25-44 ans » Mais, en France, il est interdit de procurer à quiconque les substances médicales lui permettant de se donner à lui-même une mort douce. La question est donc de formuler ou non une loi qui ne fasse pas obstacle à l’éthique relationnelle qui implique qu’on entoure de sollicitude celui qui a décidé de mettre fin à sa vie, qu’on ne le laisse pas seul et démuni quant au moyen d’y parvenir.

Le rapport éthique/loi est particulièrement nu ici : la loi n’a pas à dicter une conduite, un acte, elle n’a à poser aucune norme, elle doit simplement lever l’interdiction légale actuelle d’une assistance médicale à la demande du sujet incurablement malade décidé à mettre lui-même un terme à sa vie comme il a déjà la liberté de le faire. En Suisse, quatre cantons dépénalisent indirectement cette assistance, les lois néerlandaise et Luxembourgoise les autorisent explicitement, comme aussi aux Etats-Unis les Etats de l’Oregon, de Washington, du Montana et du Vermont dont notamment l’Oregon, et le Parlement britannique doit débattre ces jours-ci d’une proposition de loi en ce sens. Le rapport Sicard avait entrouvert la porte vers une solution de type Oregon, où l’assistance médicale consiste à délivrer, dans des conditions déterminées et pour une durée de plusieurs mois, une substance létale au sujet concerné, qui peut ou non se l’administrer, les statistiques établissant qu’ personne sur deux seulement passe effectivement à l’acte. Nous pensons aujourd’hui que la loi française doit reconnaître explicitement ce droit.

Les études notamment en Oregon mettent en lumière deux aspects qu’on ne peut négliger : d’une part, très peu de personnes demandent à utiliser ce droit légal (0,2% des décès), d’autre part, celles qui le font appartiennent très majoritairement aux classes dirigeantes de la population. Faut-il légiférer pour cette fraction extrêmement réduite de citoyens socialement privilégiés alors qu’il n’y a pas de consensus aujourd’hui sur ce point et qu’il est plus qu’improbable d’obtenir à ce sujet un vote unanime ? Nous croyons que c’est néanmoins nécessaire. Là où se nouent éthique et loi, l’argument quantitatif ou sociologique n’est pas recevable : la peine de mort ne touchait pratiquement plus personne en 1981 et pourtant la loi qui l’abolit reste ce qui vient immédiatement à l’esprit quand on interroge les français sur ce qui reste du passage du Président Mitterrand à l’Elysée, parce qu’elle est symbolique. Dans le cas de la fin de vie aussi la dimension symbolique est essentielle : la question est d’aller éthiquement au-delà de la simple liberté de choisir le moment de sa mort, argument si souvent mis en avant mais mal-à-propos car cette liberté-là est déjà officiellement reconnue depuis 1791 en France.

Il s’agit en réalité de l’idée qu’une société se fait de la solidarité au-delà des déclarations incantatoires : la devise républicaine accole la fraternité à la liberté, et c’est bien ce qui est en jeu, ici, dans la notion d’assistance médicale. Aujourd’hui les 3000 suicides annuels de personnes âgées s’accomplissent le plus souvent dans des conditions tragiques et solitaires, du fait même que la délivrance de moyens chimiques létaux est interdite aux médecins. Il est éthiquement impérieux de mettre fin à cette absolue solitude. La loi devra préciser les conditions de l’assistance médicale dont l’aspect technique ne doit pas occulter la dimension éthique d’accompagnement.

Une position du Forum de regards protestants en faveur de l’assistance médicale à l’interruption volontaire de sa propre vie par un sujet en fin de vie serait en elle-même très symbolique, du fait de la condamnation persistante du suicide par l’Eglise catholique. C’est pourquoi je termine en insistant à nouveau sur la terminologie. Nous récusons absolument le terme de « suicide assisté » qui fait porter le poids sémantique sur le mot suicide : non, il ne s’agit pas d’une disposition législative sur le suicide, mais d’une loi d’assistance, une loi qui autorise l’accompagnement du sujet jusque dans l’acte ultime de sa vie. « Assistance au suicide », expression plus acceptable que « suicide assisté » n’est pourtant pas tout à fait satisfaisante. Le suicide consiste, normalement, à choisir la mort quand la vie est physiquement possible mais, en fin de vie, il s’agit pour le sujet d’interrompre volontairement un processus mortel déjà à l’œuvre qui le ronge et le tourmente : il s’agit bien moins de se donner la mort que d’abréger une mort déjà là, qui n’est pas choisie mais subie. Nous avons éthiquement besoin que dans ce cas la loi instaure une véritable « assistance médicale à l’auto-interruption de la vie », en autorisant le médecin à se faire, en termes évangéliques, le prochain d’un sujet dont il respecte la liberté, sans l’abandonner à une solitude de la liberté.

  • #1 Le 5 octobre 2022 à 13:47, par vinsonneau

    Un si long texte pour nous expliquer que l’euthanasie ce n’est pas un suicide quand on veut mais un suicide quand on veut mais qu’on ne veut pas … bref ! langue de bois, on ne comprend rien.
    Pour faire simplet, ceux qui ont envie de mourir il suffit de leur donner un pistolet et qu’ils se débrouillent. Mais dans le monde effectivement dans lequel nous vivons - comme vous dites - une telle loi n’a dans la réalité capitaliste d’autre sale visée que d’ouvrir progressivement le droit à des salopards de tuer les vieux et les handicapés lorsqu’ils deviendront embarrassants ou trop couteux.
    Tant qu’aux médecins ils sont là pour soigner pas pour tuer, il faudra donc créer une milice qui viendra dans les hôpitaux tuer ceux qui en ont assez de vivre. D’autant que concrètement tous ces bobos en pleine santé commencent à nous emmerder à vouloir soi disant moderniser la vie - pour se faire valoir - parce que dans la vraie vie les personnes qu veulent mourir précipitamment en fin de vie se comptent sur les doigts de la main. Faites un tour dans les hôpitaux.
    Il faut développer des unités de soins palliatifs mais les milliardaires macronistes diront que ça coûte cher… sauf pour eux - ne vous inquiétez pas hélas ils ne se feront pas euthanasier précocement.
    Ce n’est même pas le croyant que je suis, qui écrit mais juste l’homme de bon sens.



Un message, un commentaire ?
  • Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Qui êtes-vous ?
  • [Se connecter]