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Appel pour une relance du christianisme social, pour des communes théologiques

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Article publié

Hannah Arendt et le choix de la commune

samedi 10 juillet 2010, par :

Le problème se pose en termes simples mais semble d’une profondeur inouïe :
qui sommes-nous ? Nous autour de cette table à discuter d’une relance du
christianisme social, nous échangeant des mails pour organiser un événement
autour du christianisme social, qui sommes-nous ? Quelle est notre légitimité,
notre autorité, notre puissance ?
A cette question nous avons répondu : « commune ! » Cette notion, incertaine
mais séduisante, est pratique pour diriger sans être dirigeants, mais cette
notion est-elle la bonne ?
A partir de deux textes de Hannah Arendt Conditions de l’homme moderne
et On revolutions, je voudrais – de façon clairement partisane- 
questionner l’idée que nous sommes une commune et ce que cela implique.

Je voudrais d’abord relever que notre légitimité puise sa source dans la spontanéité même de notre démarche. Bien qu’étant absent lors des premières réunions, je peux témoigner d’un mode de fonctionnement centré sur la spontanéité et sur ce qu’Arendt appelle « les élans d’organisation » [«  organizational impulse »]. Cela rapproche notre groupe de ce qu’Arendt appelle « le trésor caché de la révolution », soit les nouvelles structures de pouvoir qui ont émergé de façon spontanée dans différents moments révolutionnaires (1789 et 1870 en France, 1905 et 1917 en Russie, 1919 en Allemagne, 1956 en Hongrie) : « l’incroyable formation d’une nouvelle structure de pouvoir qui ne doit son existence qu’à l’élan d’organisation des gens eux-mêmes » [« the amazing formation of a new power structure which owed its existence to nothing but the organizational impulse of the people themselves ». Hannah Arendt, On revolutions, Londres, Penguin Books, 1990, p.257]. Avant de creuser ce que ce rapprochement a d’évidemment problématique, jouons le jeu et interrogeons la conception de la philosophe à propos du pouvoir pour éclairer notre initiative sous l’angle d’une « nouvelle structure de (ou ’du’) pouvoir ».

Dans son essai Conditions de l’homme moderne, Hannah Arendt développe à propos du pouvoir une théorie claire qui le pose comme étant une potentialité intangible, c’est à dire une chose insaisissable et inaliénable qui n’apparaît qu’à certaines conditions et à certains moments précis (et en cela Arendt oppose le pouvoir à la violence que l’on peut manipuler grâce à des moyens concrets). Le pouvoir ainsi compris réconcilie les deux sens du mot français, le verbe et le nom. Pour mettre en avant ce qui nous intéresse ici, citons simplement ce passage :

« La puissance n’est actualisée que lorsque la parole et l’acte ne divorcent pas, lorsque les mots ne sont pas vides, ni les actes brutaux, lorsque les mots ne servent pas à voiler les intentions mais à révéler des réalités, lorsque les actes ne servent pas à violer et détruire mais à établir des relations et créer des réalités nouvelles » [Arendt, 1983, p.260].

Outre l’aspect esthétique d’un tel énoncé, arrêtons nous au sens même qui me semble rejoindre de façon assez précise l’objectif même de notre propre projet ! Notre appel appelle en effet au mariage entre « paroles » et « gestes » ; «  réflexions » et « engagements » : « réfléchir et agir, l’un et l’autre, l’un pour l’autre ».
En ce sens, nous ambitionnons d’être une polis c’est à dire «  l’organisation qui vient de ce que l’on agit et parle ensemble, son espace véritable s’étend entre les hommes qui vivent ensemble dans ce but, en quelque lieu qu’ils se trouvent » [Arendt, 1983, p.258].
Par notre spontanéité et notre ambition politique nous sommes donc commune comme la Commune de Paris ; et par notre volonté de créer un espace d’apparence du pouvoir, de relier des hommes, de mettre en commun leurs paroles avec leurs actes nous sommes commune comme la polis

Cependant, il paraît évident que nous ne sommes ni de l’ordre de la Commune (ou du soviet) ni de l’ordre de la polis. A la différence de ces deux modèles nous nous ne situons pas dans une communauté politique globale, nous ne sommes pas le peuple, nous sommes bornés a priori par le christianisme social. La question est alors de préciser ce qu’est le christianisme social. Et ici, l’ordre de la réflexion s’inverse : nous ne partons plus de nous pour arriver à la commune, mais nous partons de la commune pour arriver à nous. En effet, comme le laisse entendre notre appel nous ne voulons pas définir de façon limitée ce que nous désirons construire et c’est là une vocation essentielle de notre démarche. La communauté dans laquelle nous nous situons se définira dans la multiplicité des communes, ce qui précisément nous demande une grande tolérance par rapport à ce qu’est le christianisme social. Car si la commune est ce qui s’auto-organise à partir de l’idée du christianisme social alors le christianisme social ne pourra être que la communauté ouverte des communes se réclamant du christianisme social.
Cette vocation comporte évidemment le risque de l’étalement et de la discussion, mais je pense que ce risque vaut mieux que son alternative qui serait de définir le christianisme social et de n’accepter de communes qu’à l’intérieur de notre définition. Cette alternative rappelle d’ailleurs ce que dit Hannah Arendt à propos de la démarche des Communistes vis à vis des Soviets en 1919 : « Quand les Communistes décidèrent, en 1919, ‘d’épouser seulement la cause d’une république soviétique dans laquelle les soviets possèdent une majorité communiste’, ils agirent en fait exactement de la même façon que  les politiciens des partis politiques ordinaires » [« When the Communists decided, in 1919, ’to espouse only the cause of a soviet republic in which the soviets possess a Communist majority’, they actually behaved like ordinary party politicians » (Arendt, 1990, p.258)].

Le choix de la commune comme forme institutionnelle est donc loin d’être neutre de même qu’il est loin d’être simple. Cependant, il constitue une chance de s’affranchir d’une dichotomie entre savoir et pouvoir, élite et peuple, théologiens et croyants. Or, cette dichotomie est en elle-même une des raisons de la crise de notre modernité, crise à laquelle notre initiative se veut une réaction. Ne soyons pas assez naïfs pour penser que c’est un choix simple mais soyons assez ambitieux pour refuser de retomber dans les travers de ce qui se fait « d’ordinaire ». Et je ne résiste pas à citer en avertissement la suite du texte précédent : « Tant est grande la crainte des hommes - même du plus radical et moins conventionnel d’entre eux - des choses jamais vues, des pensées jamais pensées, des institutions jamais essayées »[« So great is the fear of men, even the most radical and least conventional among them, of things never seen, of thoughts never thought, of institutions never tried before » (Arendt, 1990, p.258)].

  • #1 Le 28 juillet 2010 à 23:54

    Pour moi, ce qui nous convoque est au cœur d’un double argument au sujet du
    mot Ekklésia : scripturaire et historico-critique. La commune est comme chaque
    église locale, elle est la communauté locale qui est la présence de l’Église
    Universelle « par l’événement constamment renouvelé du rassemblement ». Le
    mot ekklésia est la traduction grecque de la LXX du terme hébreu kahal qui
    signifie : "assemblée convoquée". A ce mot ekklésia est en général adjoint le
    complément « de Yahvé ». L’ ekklésia ferait donc référence à :
    l’Assemblée du Seigneur convoquée. L’ekklésia à l’époque néo-testamentaire
    serait une expression employée après la mort et la résurrection de Jésus, par
    ceux qui se réclamaient du Christ comme le crucifié actuellement vivant.

    Depuis les origines israélites jusque dans les premiers temps de l’Église,
    toute ekklésia possèderait donc sa légitimité et sa portée eschatologique dans
    le rassemblement comme communauté de Dieu à la fin des temps. Dès lors, dans la
    proclamation de la Parole, toutes reçoivent « la promesse et le don de
    tout ce qui est nécessaire au Salut  ».

    Ainsi, ces assemblées locales ne sont pas des assemblées juxtaposées
    diverses ou de simples pierres de l’Église Universelle ; mais elles sont
    chacune l’Église Universelle dans l’événement du rassemblement.

    Il me semble donc clair que ces communes sont des Ekklésia qui sont
    convoquées par qui on sait, et elles possèdent chacune d’elle la promesse et le
    don de tout ce qui est nécessaire à l’accomplissement de ce qui est nécessaire
    à ce qu’il nous demande.

    Évidemment, cette version exprimée ci.dessus est très connotée. Elle
    s’oppose forcément à une vision hiérarchique de l’Église Universelle, qui
    voudrait qu’une seule personne soit désignée pour succéder à celui qui nous
    rassemble, à une vision hiérarchique et monarchique,

    Dans l’idée que nous cherchons à développer, il n’y a que des
    complémentarités de charismes, sans rapports de domination.

    Cela s’oppose forcément à la vision catholique romaine actuelle. Mais
    attention, même dans l’Église catholique romaine, il y a toujours eu une guerre
    affichée depuis le moyen âge jusqu’au nos jours entre les "conciliaristes" et
    les "papistes". Les premiers
    dont l’Église gallicane (française ) ont défendu la voie conciliariste
    (consensuelle) contre les papistes qui croient en l’infaillibilité d’un seul
    homme dont l’apothéose se situe dans le promulgation de l’infaillibilité de ce
    seul homme en 1870.

    Pour moi il est clair que la commune se convoque autour de celui qui nous
    convoque spontanément en nous donnant tout ce qui est nécessaire à parler,
    vivre et agir au nom de lui, avec lui et en lui.

    Diakonéo



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