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Nécessité de la valeur morale des soins

mercredi 4 août 2010, par :

Par Lionel Degouy
Quelque part en France, une amie, Cécile, a décidé hier, avant-hier, je ne sais plus, de se donner la mort. La beauté déchirée, cette innocence aux yeux pleinement ouverts devant l’horreur du temps et l’inutile douleur du monde, se voit taxée de folie.

 Rien que de folie qui, douce ou pas, impose l’internement. Impose l’observation. Pour que tout l’inconnu s’enfuit dans le connu. Mais pour que l’on oublie aussi, hélas, d’appeler un chat un chat. La science est là, c’est sûr. Ainsi, par exemple, bien trop souvent le désespoir est appelé « mélancolie  » ou « dépression », et la révolte, nécessairement éparse en ces temps de grand désarroi, porte le nom de « délire aigu ». Trop encore croient que l’on construit dans la victoire ; et seulement dans la victoire. Jamais dans l’abandon, jamais dans la défaite ou dans l’oubli. Inutile de se révolter, inutile de pleurer. Inutile de prier même. Voilà, c’est dit, le débat est clos. Force est pourtant de constater que nous avançons sans bien avoir le temps de nous observer nous-mêmes et que l’autre n’a plus fonction que de nous faire comprendre que l’on vit seul. Alors pourquoi ne pas s’en remettre, exceptionnellement, au simple bon sens et laisser l’évidence de certaines vies se déclarer par les pleurs ou la révolte ? Le médecin psychiatre de Cécile déplore qu’elle n’ait pas, contre son avis, réintégrée à la suite d’une autorisation de sortie, le service psychiatrique dans lequel on avait cru bon de l’interner. Car, selon ce médecin, Cécile serait encore en vie. On peut déplorer qu’il soit si facile aux médecins de confondre cause et effet : Cécile avait peur. Elle avait peur d’y retourner, dans ce service, tout simplement. Par les médicaments qu’on lui donnait elle avait perdu la possibilité d’avoir des enfants ; par ces médicaments, ou d’autres, elle avait perdu le droit de faire l’amour, aussi. Ces mêmes médicaments avec lesquels elle s’est donnée la mort. De plus, l’enfermement, non voulu d’elle, et vécu chaque fois si difficilement, était perçu comme une menace par ses fonctions vitales, par sa capacité à imaginer l’avenir autrement que sous la dépendance totale des médecins. Tout cela devait cesser. Selon elle. Quand, donc, la psychiatrie comprendra-t-elle qu’elle ne peut rien résoudre, dans ces conditions et avec ces méthodes, du drame existentiel qui la dépasse comme il nous dépasse tous, et qui crée ses angoisses ? Sa raison de vivre n’est pas son savoir mais sa détresse, son ignorance. Il est parfois regrettable qu’elle ne le sache pas. On ne laisse pas souvent passer la légèreté en psychiatrie, et l’Homme n’est Homme qu’en ce qu’il est adulte et volontaire. Que l’on permette un jour qu’il soit possible de n’être rien. Cela comme une alternative à la contrainte, comme un sauvetage aussi. La durée certaine du chemin à parcourir dans cette direction permet d’être tranquille sur la valeur de cette observation. Et en dépit du désarroi qu’à sans nul doute dû provoquer, au sein du service, la disparition de Cécile, on voit tout le danger qu’il y eu dans l’obstination de ses médecins à n’écouter qu’eux-mêmes. Car à la valeur soi disant irréductible qu’ils accordent à la vie, persuadés qu’ils sont d’aimer comme il faut, ils soustraient à celle-ci ce qui en est, pour beaucoup, le sens ultime : le bonheur à tout prix, malgré tout. Et le désir aussi. Il faut donc réaffirmer le droit à tous de librement parler de sa douleur, au moment de sa douleur ; il faut réaffirmer le droit de s’effondrer, celui plus encore de pleurer, mais aussi de hurler. Et cela sans qu’il soit trop systématiquement proposé un placement en « observation », un « internement », appelé presque ironiquement «  moment de repos ». Tant il est vrai que le repos viendrait, assurément, surtout du fait que la bêtise n’assassine plus crânement les gens.


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