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Appel pour une relance du christianisme social, pour des communes théologiques

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Article publié

Israël/Palestine

Un « Eappi » à Jérusalem (2)

jeudi 30 mai 2013, par :

Sweet home, sweet home ! S’il est une première chose que recherche chacun, à tout âge, c’est bien un logement, et, en France, on le sait bien !
C’est la raison pour laquelle je décris dans cette lettre l’un des principaux problèmes à Jérusalem pour les palestiniens : se loger et garder son logement.

Quelques données :
En 2010, la population de Jérusalem est de 788000 habitants, dont 504000 israéliens (64%) et 284000 palestiniens (36%). Mais la proportion sur la seule partie annexée est de 39% d’israéliens pour 61% de palestiniens. Un tel déséquilibre de population semble insupportable aux israéliens qui font tout pour le redresser :
Ainsi, environ 35% de la surface de Jérusalem-est ont été expropriés et constituent des enclaves de colonies juives : 200000 « settlers » (ou colons, nom donné à ces israéliens qui viennent habiter en Palestine), habitent ainsi en terres conquises en 1967. Environ 2000 settlers habitent au cœur des quartiers palestiniens de Jérusalem, après réquisition des habitations par divers moyens. Après diverses décisions des autorités, il ne reste plus que 13% de la surface disponible pour les palestiniens.
Aujourd’hui, il est quasi impossible à un palestinien de construire « légalement » : il est extrêmement difficile et coûteux d’obtenir un permis : 94% des permis déposés sont refusés, seule une moyenne de 150 permis de construire est délivrée chaque année. En conséquence, pour loger une famille qui s’agrandit, beaucoup de palestiniens, construisent ou agrandissent leur maison illégalement. On estime à 22000 le nombre de telles habitations soit autour de 40% des habitations existantes. Logements illégaux, donc susceptibles de démolition ou d’éviction.
Ainsi, le nombre de logements palestiniens détruits à Jérusalem-est est donné ci-dessous :

(j’ai noté 4 références pour montrer la difficulté d’avoir des chiffres !)

2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013*
(1) 16 41 45 99 133 90 81 75 93 84 82
(2) 163 148 62 201 266 192 116 105 74 50
(3) 18 41 43 99 152 94 83
(4) 16 41 45 99 133 90 81 75
*Au 28/02
Ligne 1 : UNOCHA - east Jerusalem key humanitarian concerns Special focus March 2011
Ligne 2 : B’tselem statistics
Ligne 3 : “no place, no home”, Meir Margalit, march 2007 (Hors self demolitions)
Ligne 4 : données transmises à B’tselem par les autorités

Comment en est-on arrivé là ?
Après la 2nde guerre mondiale, en 1948, l’indépendance de l’État d’Israël est proclamée, environ 700000 palestiniens quittent - ou sont obligés de quitter - leur logement et partent, certains à Jérusalem. La ville est partagée en deux parties : israélienne (à l’ouest) et Jordanienne à l’est (dont toute la « Old city » cœur de la ville, entourée par les murailles).
En 1967, à la suite de la guerre des Six Jours, Israël prend le contrôle de l’ensemble de Jérusalem. La municipalité est largement agrandie (de 5,5 à 71 Km², le maximum de surface pour minimiser la proportion de palestiniens) par annexion de nombreux villages autour de Jérusalem. Cette annexion est jugée illégale par la communauté internationale des Nations unies. La construction de nombreuses colonies israéliennes, elles aussi illégales, est autorisée (15 colonies depuis 1967), tout cela par volonté politique affichée de maintenir une proportion de l’ordre de 30% de palestiniens.
Cette volonté politique de « judaïser » Jérusalem est approuvée par le gouvernement en 2010 (« capitale juive unie »), décision encore une fois qualifiée d’illégale par les Nations unies.
Dès lors, parmi les mesures prises, figurent les expulsions et démolitions de logements.
Depuis que nous sommes en place à Jérusalem, (un peu plus de 3 semaines), nous avons rédigé 7 rapports d’incidents concernant des démolitions de maison, ou de partie de maison, sur les 12 rapports d’incidents envoyés.

Deux exemples
J’ai plutôt choisi de commencer par décrire la situation d’un quartier complet qui est suivi par les équipes EAPPI successives depuis 5 ou 6 ans : le quartier de Sheikh Jarrah. Puis je citerai l’histoire d’une famille de Jérusalem.
HISTOIRE D’UN QUARTIER : SHEIK JARRAH
Le quartier de Sheik Jarrah est dans la partie palestinienne de Jérusalem, par rapport à la « green line » (frontière de 1949, reconnue internationalement) : donc en territoire occupé, disent les palestiniens, ou en territoire annexé disent les israéliens.
Il est situé à 2km au nord du cœur de la ville, la « Old city ».
Il est limité au nord par deux quartiers de colons israéliens ; à l’ouest il jouxte la partie israélienne de Jérusalem (Ouest Jérusalem). Vers l’est, le mur de séparation est à 2km ; au-delà du mur, se trouvent (en zone palestinienne !) deux très grosses colonies : Ma’ale Adumin et plus loin vers le nord-est Misho Adumin. Il reste une quinzaine de km vers l’est pour atteindre la mer morte : ils sont utilisés pour l’agriculture des settlers israéliens.
D’où son importance stratégique, dans la politique israélienne qui a pour but de récupérer l’ensemble de Jérusalem, « leur » capitale, en ceinturant la Old city de quartiers occupés par des israéliens, isolant ainsi Jérusalem de la Palestine, d’une part ; et en coupant la Palestine en deux parties l’une au nord et l’autre au sud, d’autre part.

Témoignage :
Mohamad Sabbah raconte : « Ma famille était installée depuis des générations à Jaffa. En1948, nous sommes expulsés de notre maison » – superbe d’ailleurs, j’ai vu les photos – « puis on nous octroie le statut de réfugiés ».
En 1956, L’UNRWA finance la construction de 28 maisons sur des terrains cédés par le gouvernement jordanien. La famille Sabbah fait partie des 28 familles palestiniennes, réfugiées depuis 1948 qui s’installent ainsi à Sheik Jarrah. En échange, les familles renoncent à leur statut de réfugiés, doivent payer une location pendant trois ans, et obtenir un titre de propriété : titre qu’ils n’ont jamais obtenu des jordaniens…
Avoir un titre de propriété est souvent un grand problème : Sous le régime ottoman, jusqu’en 1916, les terres n’étaient que « louées » par les familles. Depuis lors, il ne s’est rien passé de significatif à Jérusalem- Est.
Le nom de la famille de Mohammed Sabbagh est cité en justice pour la 1ere fois en 1972, par des associations israéliennes de settlers qui prétendent être propriétaires de terrains sur la foi d’un document tendant à prouver une « certaine forme » de propriété. La cour de justice déboute, par ailleurs, les settlers d’une autre demande d’expropriation sur 4 maisons - doutes concernant l’authenticité des documents. Dans les années qui suivent, les 28 familles reçoivent régulièrement des demandes de paiement ou d’évictions…ce qui les oblige à se lancer dans des procédures légales longues et coûteuses.

En1982 survient un épisode important : 23 familles sont défendues par un avocat qui prend la liberté, sans l’accord des familles, de conclure un accord – dit aujourd’hui Agrément Toussia-Cohen : il reconnaît, aux settlers la propriété des terrains, et aux familles le droit de rester sur place, moyennant le paiement d’un « loyer »… sans garantie de non éviction ! Les familles refusent évidemment, mais cet agrément constitue un précédent qui va être utilisé constamment par la suite.
Les difficultés continuent. Dans les années 90, interminables procédures de justice…et en1999, 1ere éviction : grosse amende, scellement d’une partie rénovée de la maison, dans laquelle s’installent peu après des settlers israéliens. 9 familles palestiniennes vont ensuite recevoir des ordres d’expulsions émanant de la cour ou des avocats des settlers.

En 2009, au milieu de la nuit, la porte d’entrée de la maison d’un autre palestinien Mohammad Al-Kurd est défoncée ; la police “lourdement armée et masquée”, vide la maison après avoir cerné le quartier. Mohammad, malade, en fauteuil roulant, est atteint d’une crise cardiaque. L’ambulance est bloquée par la police, il décède quelques jours plus tard d’une seconde crise. Fawzyeh, son épouse, en signe de protestation, s’installe dans une tente, régulièrement démolie par la police.
La même année, deux autres familles sont forcées à partir et s’installent en face de leur maison, dans des tentes pendant un certain temps.
La famille Al-Kurd vit aujourd’hui dans la partie ancienne de sa maison : dans la partie rénovée de la maison, alors construite sans permis et évacuée de force, vit un juif extrémiste venant de Chicago, parlant très mal l’hébreu m’a-t-on dit, mais je l‘ai vu passer avec sa tenue noire, et son chapeau, lui aussi noir…

Ces affaires, menées avec violence par la police et les settlers, font alors du bruit, et Sheik Jarrah commence à être défendu par des associations israéliennes des droits de l’homme, et la presse internationale. Nombreux sont alors les étrangers qui viennent après la sortie d’un court métrage « My neighbourhood » , remarquable, sur l’action non violente au cœur de ce quartier de Jérusalem. Parmi les personnalités, Avram Burg ancien porte-parole de la Knesset, l’ancien président des USA Jimmy Carter, l’ancien président de l’Irlande Mary Robinson sont passés pour connaître la situation.
Il semble que la présence politique de telles personnalités, et les réactions politiques ont alors « calmé » la police, qui n’est plus intervenue depuis lors, alors que chaque vendredi continue à se tenir une manifestation à Sheik Jarrah ; elle n’a plus la force des années 2008/ 2010, mais rassemble encore du monde – vendredi dernier, nous étions plus de 200.
Par ailleurs, la cour de justice a demandé aux associations juives de prouver la véracité de leurs documents : les affaires semblent gelées jusqu’à la fourniture de cette preuve, repoussée par les avocats jusqu’à aujourd’hui.

« Au début, c’était difficile, mais maintenant nous avons l’habitude, et si nous partons, nous perdons les maisons pour lesquelles nous nous battons depuis si longtemps ! Et nous perdons aussi notre ID . Si on gagne, cela servira de jurisprudence à beaucoup de familles qui attendent, ailleurs », nous dit Mohamed Sabbah.

Voila un bel exemple de résistance collective non violente qui a permis à ce quartier de continuer à vivre – mais dans quelles conditions de tension, de crainte ! – malgré tout.

Pour combien de temps ? Récemment une famille a reçu un nouvel ordre de démolition, son cas passe, dans quelques jours, devant la cour de justice. Notre présence est réclamée, car la présence d’ « internationaux » peut faire changer la décision des juges…
Enfin, hier à l’entrée du quartier, surprise : en face du carrefour d’où partent les manifestations, se trouve un grand terrain et un hangar qui ont permis à M. Mohammad Joulya de monter une affaire de vente de voitures. Il avait été approché par la municipalité pour quitter et/ou vendre ce terrain, afin de construire un parking pour les juifs habitants dans le secteur (il n’y en a pas beaucoup…). Devant son refus, un ordre de démolition a été émis, sans date. Hier en fin de nuit, les voitures sur le terrain ont été emmenées, les installations complètement détruites…
Les difficultés de logement, et la volonté politique expliquent ces nombreux cas d’expulsion ou de démolition de maison, de violences, et d’intimidations… que nous suivons tant le problème est primordial : nous partons rencontrer la famille, leur faire raconter l’histoire le plus précisément possible, avec nom, heures des événements, problèmes…nous prévenons, si c’est utile, demandé et possible les associations ou organismes qui peuvent aider les familles. Puis nous rédigeons un rapport d’incident qui alimentera les informations des organisations en témoignages directs, puisque EAPPI est reconnue comme le plus présent sur le terrain. Mais aussi, et peut-être sommes nous les seuls à faire cela - en allant passer régulièrement du temps avec ces familles, au cours des jours suivants : « Oui, [telle ou telle organisation] est venue le 1er jour, puis nous n’avons plus vu personne, et souvent rien n’a été fait… », nous dit-on souvent. Et c’est un réconfort certain pour ces familles. Je suis encore étonné quand en arrivant à Sheik Jarrah, beaucoup nous disent un chaleureux bonjour ! Nous avons pris le café dans plusieurs des maisons des familles citées.
HISTOIRE D’UNE FAMILLE A JERUSALEM :
Pour finir, un autre exemple de situation difficile.

Nous recevons un appel : Une nouvelle démolition…
Après leur mariage, les époux S. s’installent dans un studio, dans un immeuble. Arrivent les enfants, et il faut plus de place : ils construisent - évidemment sans permis, voir ci-dessus – une maison sur le toit plat dudit immeuble. Depuis plusieurs années (17 ans !), leur avocat avait réussi à repousser la décision ; cette fois ci, non : la famille a reçu l’ordre de démolition avec une date limite au 18 mai. M. Nader S. a pris sa masse et a détruit les murs lui-même…Par crainte d’aller en prison, comme la police l’en a menacé, pour ne pas payer le cout de la démolition (eh, oui, il faut payer cela !), ou par dépit…La famille utilise une pièce qui n’a pas été détruite, et a monté une sorte de tente à coté sur le toit…
Depuis, nous avons soutenu cette famille en la mettant en liaison avec les institutions qui peuvent l’aider, mais surtout, deux jours plus tard, j’ai moi-même passé près d’une heure et demi à écouter la mère de famille (6 enfants, de 25 à 11 ans), qui avait besoin de parler de sa vie, de sa ville - elle est partie étudier aux USA, a exercé le métier de journaliste, et se retrouve ainsi, sans rien… « Pour moi, cela n’a pas d’importance, mais quel avenir ont mes enfants dans mon pays où je me sens plus étrangère que je ne serais étrangère dans un autre pays ? » Ainsi elle songe vraiment à émigrer…à l’étranger, car partir en Palestine revient, avec les lois israéliennes actuelles, à perdre sa carte d’identité jérusalémite, et donc, entre autres, ne plus pouvoir se déplacer librement pour revenir dans sa ville…

« J’accepte les lois israéliennes si elles sont justes. Nous sommes des humains, non ? Je vais lutter, sans violence mais jusqu’au bout ! » Lorsque je lui demande comment vont ses enfants, elle répond : « c’est difficile pour celui qui passe l’examen de dernière année [au lycée], il n’arrive plus à se concentrer et je crains pour lui ». Elle ajoute : « j’ai dit à mes enfants : ce n’est pas la fin du monde ! Voyez, nous sommes en vie, nous sommes en bonne santé, et nous croyons en Dieu, c’est cela l’essentiel ».

Qu’écrire de plus ? A plusieurs reprises, on m’a dit « c’est ça, la vie à Jérusalem »…quelle vie ?

Denis Costil, 23 mai 2013


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