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Quelle anthropologie biblique ?

mercredi 16 janvier 2013, par :

Jean Alexandre, pasteur et animateur du Centre protestant de l’Ouest (CPO - Commune du Poitou du Christianisme social) répond à Marc Muller sur le point de l’anthropologie biblique.

Les thèses de l’ami Marc Frédéric Muller sur le mariage pour tous comportent probablement des points pertinents et d’autres contestables, c’est à voir, mais l’un d’entre eux, en tout cas, ne me paraît pas soutenable. C’est celui qui fait dès l’abord argument de la validité intangible d’une « anthropologie biblique » :
La définition de l’être humain dans une structure dialogique ontologique repose d’abord sur le projet créateur de Dieu qui crée l’humain à son image ; elle se prolonge dans la conception de chaque individu par une femme et un homme, sexuellement différenciés, qui sont des vis-à-vis l’un pour l’autre. La dimension dialogique de l’existence humaine se déploie ensuite à travers une infinité de variations dans les relations interpersonnelles, communautaires et sociales. (M. F. Muller, thèse 2)

Ce texte passe à côté de la structure dissymétrique des relations dont il fait état, ce qui, à mon sens, lui ôte tout intérêt en tant qu’argument lorsqu’il s’agit d’établir une valeur « ontologique » au mariage d’êtres humains partageant, comme aujourd’hui chez nous, un même statut anthropologique. Dans la Bible, l’homme et la femme ne partagent pas ce statut-là.
Il ne faut pas, en effet, faire de contresens sur le lien qui unit, selon les Écritures, l’homme et la femme dans le couple. Dans le récit biblique, de même que l’être humain n’est image de Dieu que comme réalité seconde, ne tenant sa validité que par rapport à une réalité première, de même, la femme est, par rapport à l’homme, un vis-à-vis dépendant.
Ainsi, par exemple, l’expression hébraïque kenègdo employée pour préciser la relation que la première femme entretiendra avec le premier homme (Genèse 2, 20 ; littéralement : « comme devant lui »), et traduite souvent par « vis-à-vis » ou « semblable à lui », n’évoque pas en réalité l’attitude qui consisterait pour l’un et l’autre à se regarder face à face et droit dans les yeux, en partenaires égaux, mais plutôt le lien de loyauté réciproque qui unit un seigneur et son vassal ou un maître et son fidèle serviteur. Pour la culture considérée, ces distinctions, liées à des ordres distincts constitutifs de l’humanité, sont tout autant « ontologiques » que la différenciation sexuée (pour autant que ce terme d’ontologie ait quelque correspondance avec ceux qui s’expriment dans la Bible). Ce n’est pas un hasard si le récit biblique fait sortir Ève d’Adam et non l’inverse (ce qui serait pourtant conforme à la nature !) car elle est de second ordre, elle qui « dé-pend » de son homme.
La première conséquence de ce statut « anthropologique » de la femme, c’est que les petits qu’elle enfante sont les fils et les filles de son mari plutôt que les siens.
Telle est la structure dialogique dans laquelle homme et femme se trouvent réunis dans les textes bibliques, y compris très largement dans le Nouveau Testament. Cela illustre simplement le fait qu’ils ont été écrits dans le cadre de civilisations impériales, asiatiques et antiques qui privilégiaient des relations contractuelles de type hiérarchique validées par le divin. Dans ces sociétés comme dans d’autres plus anciennes, c’est bien connu, la femme n’est pas totalement sujet, elle est valeur d’échange et signe d’alliance entre les hommes. C’est pourquoi, par exemple, la Loi donnée à Moïse au Sinaï s’adresse aux hommes, pas aux femmes. Elles n’ont qu’à suivre.

Alors veut-on faire une loi intangible, « ontologique », de conceptions anthropologiques situées et datées ? La révélation implique-t-elle que les croyants d’ici et d’aujourd’hui, hommes et femmes, aient à vivre « à l’antique » ? Doivent-ils sacraliser des traditions orientales qui leur sont devenues étrangères ? Je crois plutôt que, pour prendre une image, ce n’est pas seulement d’un point de vue linguistique que les Écritures nous disent leurs vérités dans une autre langue que la nôtre, et que celle-ci reste à traduire dans notre propre langue.

Ainsi, pour moi, et justement d’un point de vue anthropologique, ce que rate le texte de M. F. Muller sur ce point, c’est l’irruption de cette égalité inédite de statut que les femmes ont peu ou prou conquise dans nos sociétés. Or c’est sans doute parce que le couple devient alors une union civile entre égaux que, les anciennes règles devenant par suite caduques, la question de l’union civile entre semblables en est arrivée à se poser elle aussi aujourd’hui. Même si, pour être honnête, cette question m’embarrasse, je la crois légitime.

Jean Alexandre

  • #1 Le 16 janvier 2013 à 20:49, par Vertet Hugues

    Il me paraît aussi important de ne pas sacraliser des textes, mais de bien les situer dans leur époque, dans la culture où ils ont été écrits.
    C’est un respect du texte que de faire ce travail.
    Actuellement, avec la pollution, la surpopulation, émergent les couples stériles : hh, ff. Il me semble bon qu’ils respectent leur vocation.


  • #2 Le 17 janvier 2013 à 10:32, par Poussard

    La femme « qui « dé-pend » de son homme » : est-ce que dépendre de quelqu’un c’est être son esclave ?
    Vous parlez aussi de « lien de loyauté réciproque » et je crois que c’est bien de cela qu’il s’agit. Nous ne sommes pas un agglomérat d’individus, nous sommes des personnes c’est-à-dire que nous sommes inter-dépendants… et ce lien de loyauté réciproque est fondamental.
    L’homme est dépendant de la femme, non seulement parce qu’il naît d’elle, mais parce que ce n’est que par elle et par son acte de foi à lui, en sa parole de femme, qu’il devient père. C’est de cela qu’il s’agit dans le contrat de mariage qui note la « présomption de paternité ». L’homme ne devient père que parce qu’il croit en la parole de la femme qui lui dit que l’enfant qu’elle porte vient de lui. Et la société pose comme base sa foi en l’acte de confiance et de fidélité que les époux ont prononcés publiquement. Et l’enfant est positionné, dès sa naissance, dans ce double acte de foi. Ce sont ses racines les plus profondes.
    C’est aussi sur l’acte de foi humain du père que pourra prendre corps l’acte de foi métaphysique.
    Comme le père représente la « parole » dans la relation mère-père-enfant , la mère devra vénérer sa parole lorsqu’il énonce la Loi. Loi dont il n’est pas l’auteur, Loi dont il ne devient pas propriétaire, mais Loi transmise, Loi qui s’origine dans la Révélation. Oui. La mère doit se tenir dans cette confiance, dans ce lien de loyauté par rapport à la parole du père qui transmet la Loi. Elle en est la garante pour leur enfant dans l’épaisseur du quotidien. Ce qui ne veut absolument pas dire que la femme est soumise à la loi de l’homme. L’homme et la femme qui ont un enfant s’aiment, dialoguent, s’écoutent mutuellement. Mais, pour l’enfant, la mère est « chair » qu’il connaît depuis sa conception, qu’il reconnaît à sa naissance et qui lui donne assurance dans ce monde nouveau. Elle donne sens à la réalité tangible. Elle donne sens par les sens. Le père énonce une réalité non tangible… mais qui est réalité… en affirmant qu’il est, lui aussi, à l’origine de cet enfant. C’est sur cette affirmation tacite que l’enfant peut croire à la parole qui dit la réalité non tangible.


  • #3 Le 19 janvier 2013 à 12:00, par Jean Alexandre

    Tout d’abord, tout le monde dépend plus ou moins de tout le monde. Plus particulièrement et plus fortement les conjoints. De préférence, cette dépendance ne s’exerce pas pour eux aujourd’hui sur le mode des conjoints de l’époque biblique, pour lesquels il s’agissait d’une dépendance apparentée au type féodal. Le fait que les textes de loi de la Bible ne s’adressent qu’à l’homme, non à la femme est dû à cette culture lointaine.
    D’autre part, en quoi "la parole" d’un papa fait-elle de lui le seul énonciateur de "la Loi" ? Ce lien, c’est Freud qui le pose. Cela représente un développement de la doxa judéo-chrétienne de son époque, doxa qui provenait de la Bible telle que la lisaient Eglises et synagogue.
    Or je ne crois ni en Freud ni en la culture de peuples antiques. Je crois en Jésus-Christ, présent dans le réel d’aujourd’hui.



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